La poussée de Marine Le Pen à la veille des départementales ne cesse d’inquiéter et de paralyser ses opposants. Jusqu’où peut-elle l’emporter ?
« Le Front national pose les bonnes questions, mais apporte les mauvaises réponses. » Du Brice Hortefeux dans le texte ? Non, du Laurent Fabius daté de 1984. Depuis plus de trente ans, le FN de Jean-Marie Le Pen et de sa fille « s’incruste » partout dans la société selon le mot d’une élue PS. Il s’en amuse d’ailleurs : « À un moment donné, nous allons arriver au pouvoir. Le plus tôt sera le mieux », plaide Marine Le Pen de sa voix au timbre rauque et au débit rapide. Et sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen, d’ajouter au journaliste Gilles Leclerc, lors de la remise du prix « élu local de l’année » décerné à Steeve Briois (Hénin-Beaumont) par le Trombinoscope : « On va vous avoir, mais quand ça va arriver, ça va vraiment vous faire mal. »


Marine le Pen satisfaite

Marine Le Pen largement en tête au premier tour de l’élection présidentielle de 2017. C’est l’enseignement du dernier sondage Ifop pour Marianne. « Si le premier tour du scrutin avait lieu maintenant, elle rassemblerait entre 29 % et 31 % des voix, en fonction de ses adversaires », explique Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’institut de sondage, avant d’ajouter : « Cela peut ne rien vouloir dire, mais aujourd’hui sa qualification au second tour est quasiment vue comme une évidence ! » Outre un fidèle socle électoral, Marine Le Pen capte 13 % à 16 % d’électeurs de Nicolas Sarkozy et convainc trois Français sur dix de la porter à l’Élysée. Une photographie des intentions de vote qui signe bien son leadership à deux ans de l’élection suprême.

Autre victoire à son tableau de chasse, les élections européennes de mai 2014, qui ont vu le parti frontiste arriver en tête avec 24,86 % des voix, devant l’UMP (20,81 %) et le PS (13,98 %). Alors, le Front est-il le premier parti de France, comme on le clame au siège de Nanterre ? Pour sa présidente en tout cas, « le gouvernement nie la volonté des Français. Il faut désormais voter plus, plus souvent et plus nombreux. » Une amplification que ne contredit pas Manuel Valls : « L’extrême droite et Marine Le Pen sont aux portes du pouvoir. » Pourtant, le politologue Dominique Reynié est plus circonspect. L’an passé, l’UDI et l’UMP ont décidé de scinder leur liste précédemment commune. Si celle-ci avait été reformée comme en 2009, le FN aurait été relégué à la deuxième place.

Après les événements terroristes du mois de janvier, les thèmes de la sécurité et de l’immigration reviennent au premier plan : le FN capitalise et voit sa logique se réinstaller. Résultat, il prend la tête des projections avec un tiers des intentions de vote aux scrutins départementaux. Un succès qui s’explique aussi par l’assiette grandissante de l’électorat frontiste. L’ancien socle historique de Jean-Marie Le Pen, plutôt jeune, masculin et ouvrier, est désormais rejoint par de nouvelles catégories âgées de 35-49 ans, davantage féminines et issues de la classe moyenne et salariée. De quoi permettre à Marine Le Pen de présenter un candidat dans au moins neuf cantons sur dix : « Où que l’on aille, même à l’Ouest, on ne ressent plus de zones de défiance vis-à-vis du Front. »


L’opposition qui se brûle les ailes

S’il y en a qui ont bien compris la menace frontiste, ce sont le PS et l’UMP. « Ils ont totalement intégré l’idée que Marine Le Pen pourrait être présente au second tour en 2017 », précise Frédéric Dabi.

À droite, en 2012, Nicolas Sarkozy pensait pouvoir s’approprier une partie de l’électorat FN. Le discours de Grenoble – « cinquante années d'immigration massive, insuffisamment régulée », des « migrants qui repartent avec une dotation de l'État pour revenir ensuite illégalement demander une autre aide » – a toutefois produit l’effet inverse : aucun report de voix et une légitimation des raccourcis du Front national. Si bien qu’entre 15 % et 20 % de l’électorat sarkozyste du premier tour a quitté l’UMP pour aller à son extrême droite. Plus globalement, sur les 2,3 millions de voix gagnées par Marine Le Pen à la dernière présidentielle, on estime qu’environ 1,6 million de suffrages se portaient précédemment sur Nicolas Sarkozy.

À gauche, la tonalité ne diffère guère, comme en témoigne la récente lexicologie belliqueuse de Manuel Valls : « Islamo-fascisme », « apartheid », « vocation des Roms à quitter la France »… Étonnant de la part d’un socialiste ? Pas tant que ça, si l'on se rappelle de la tentative avortée d’épouvantail de François Mitterrand qui, pour bloquer le RPR de Jacques Chirac en 1986, avait fait entrer la dynastie Le Pen (trente-cinq députés) dans l’Hémicycle.

Bref, une opposition républicaine qui ne sait plus comment faire, et qui, à trop vouloir jouer avec le FN, se brûle les ailes. Forte de ce constat, la rue de Solférino clame désormais le rassemblement large et la main tendue aux écologistes, car le PS pourrait bien être absent de quatre cents cantons au second tour des cantonales. Le député de la Haute-Garonne et secrétaire national aux élections Christophe Borgel l’admet : « La gauche n’est pas en mesure de l’emporter sans un rassemblement plus large. La porte est ouverte aux écologistes. » Et alors que le PS tente d’éviter la débâcle, l’UMP se fracture, elle, sur le meilleur moyen de rassembler ses troupes sur une ligne commune face au Front, malgré des leaders qui flirtent avec leurs idées et leurs électeurs. Front républicain ou non ? Depuis quelques mois, Nicolas Sarkozy explique aux parlementaires de son camp que le FN est l’ennemi commun. Problème : 50 % de ses sympathisants souhaitent une alliance électorale pour les élections départementales et régionales (TNS Sofres pour Le Monde, France Info et C+).
Comme de la friture sur la ligne... Toutefois, la probabilité que de pareilles alliances se nouent est faible. Premièrement, parce que l’UMP progresse, que ce soit aux législatives partielles, aux municipales et même aux européennes, reléguant le FN au simple poste de concurrent. Ensuite, si le programme de Marine Le Pen est en rupture avec celui de son père sur les questions de laïcité, sa position en faveur d’un État stratège prônant la retraite à 60 ans ne peut convaincre la rue de Vaugirard. Et que dire de sa position sur l’Europe ou de ses applaudissements à la victoire de Syriza en Grèce…


De l’adhésion à l’élimination

Et si la meilleure réponse venait de la vox populi elle-même ? Certes, 36 % des Français estiment que le FN est en mesure de gouverner, mais plus d’un sur deux ne souhaite pas le voir aux commandes présidentielles. Dans le détail, on s’aperçoit que pour 54 % des sondés, il constitue un danger pour la démocratie. Et 62 % confient même qu’ils n’ont jamais voté et ne voteront jamais pour le FN. Preuve en est, au second tour d’une présidentielle, Marine Le Pen apparaît systématiquement battue. Même François Hollande la devance avec 55 % des intentions de vote, selon la mesure de l’Ifop. C’est sans doute là que se fixe la limite actuelle de l’adhésion des Français au Front national. « Un premier tour d’adhésion et un second d’élimination », rapporte Frédéric Dabi.

Loin de gagner, Marine Le Pen remporte seulement des points et constitue pour l’heure une alternative. Une alternative qui lui va comme un gant, protégée de toute responsabilité et de tout compte à rendre, mais qu’elle dément catégoriquement et balaie d’un revers de main : « Pourquoi nous empêcher alors d’avoir des responsabilités ? ». En attendant, la fille de Jean-Marie Le Pen continue sa route à coups de dénonciations, d’exhortations et de « ni droite ni gauche ». « Nommer le danger et ne rien proposer, cela s’appelle de la sorcellerie », conclut un député UMP.


Julien Beauhaire


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