Jacques Séguéla a cofondé l’agence de communication RSCG en 1970. Inventeur de nombreux sloga à succès, politiques ou publicitaires, on doit au vice-président d'Havas 1 500 campagnes, dont 15 présidentielles.

Jacques Séguéla a cofondé l’agence de communication RSCG en 1970. Inventeur de nombreux slogans à succès, politiques ou publicitaires, on doit au vice-président d'Havas 1 500 campagnes, dont 15 présidentielles.

Décideurs. Pourquoi être fréquemment allé à rebours des conseils ?
Jacques Séguéla.
Lorsque je me suis engagé dans les campagnes politiques, j’avais proposé mes services à Chirac, Giscard et Mitterrand. Tout le monde me disait de ne pas aller vers le candidat socialiste. C’est pourtant vers lui que je me suis dirigé. Il a été mon chemin de traverse.
Dans la vie, nous avons deux cerveaux (1). Les siècles précédents ont hypertrophié la raison, notre cerveau gauche. C’est le quotient intellectuel (Q.I.) qu’on n’a cessé de développer à travers les formations et les études. Or, il ne faut pas laisser «?hypotrophié?» l’autre cerveau, le quotient émotionnel (Q.E.), celui de l’ailleurs, de l’autrement, de la création, de l’imagination, de la spontanéité et de l’indépendance. Si «?science sans conscience n’est que ruine de l’âme?», Q.I. sans Q.E. n’est que ruine du management. L’Inde et la Chine en font aujourd’hui les frais, reproduisant la brutalité du management occidental du XIXe?siècle. Il faut aller vers la démocratie participative du Q.I. et du Q.E.

Décideurs. Comment avez-vous pris la décision de faire de la publicité ?
J. S.
À 24 ans, j’étais docteur en pharmacie, et, en plein tour du monde à 2CV (2) pour ma thèse sur les marchés des plantes médicinales à travers la planète, j’ai changé d’avis. Défroqué de la pharmacie, je suis parti piger à Match et France Soir. N’étant ni supérieur ni inférieur aux autres, je me suis dit, totalement décomplexé, pourquoi pas moi ? Je n’avais ni plan de carrière, ni l’ambition de la pharmacie, mais celle de la vie par l’intermédiaire des chemins de traverse.
Ensuite, j’ai eu la chance que cette vie me mette toujours au bon endroit au bon moment, avec la ferme conviction qu’il faut être là où il faut quand il ne faut pas et là où il ne faut pas quand il faut ! Moi seul savais que j’allais au bon endroit, si tant est que la publicité pu être considérée comme tel tant on vomissait ce milieu. «?Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité, elle me croit pianiste dans un bordel?», ai-je écrit plus tard (3).

Décideurs. Comment recrutez-vous alors ? Uniquement au Q.E. ?
J.?S.
Bernard Tapie m’a dit un jour : «?On n’a qu’une seule occasion de faire une bonne impression.?» Tout se résume à cela. Les cinq premières minutes sont décisives. Soit je sens un influx, soit je ne sens rien. Le cursus de vie m’intéresse davantage que le cursus universitaire et je veux savoir ce que les candidats n’aiment pas, en premier lieu en moi. Qu’ils osent, qu’ils soient conscients que la publicité d’aujourd’hui n’est pas ce que je représente, car elle est ailleurs et autrement. C’est un match de l’âme et non un combat de l’esprit. En fait, je n’ai qu’un talent, celui de recruter plus talentueux que moi.

Décideurs. À vous écouter, la providence semble vous avoir particulièrement choyé. Croyez-vous à la chance ?
J.?S.
Je crois à la chance, mais je préfère la notion de hasard. Comme disait Prévert : «?Le hasard existe et il ne frappe pas par hasard.?» Le hasard a quelque chose de divinatoire, ce sont les «?forces de l’esprit?» de Mitterrand, quand la chance, elle, est Las Vegas et Frank Sinatra… deux de mes idoles. Le hasard est imaginatif, alors que la chance ne l’est pas. D’ailleurs l’argent n’a pas d’idée, seules les idées font de l’argent.

Décideurs. Vous êtes connu pour vos slogans. Un slogan constitue-t-il une décision à proprement parler ?
J.?S.
Un slogan est un jaillissement. Quand un annonceur m’interroge, je dois avoir un flash dans les deux heures, c’est-à-dire des idées et des mots immédiats. Et les images ne seront que les sous-titres de ces mots. Nous sommes dans une société d’images, mais nous ne devons pas oublier les mots, qui restent le dogme et permettent de faire régner l’esprit créatif. «?La force tranquille?», «?À fond la forme?», «?Il est fou Afflelou?» demeurent. Les images se perdent.

Décideurs. Quels critères guident vos décisions ?
J.?S.
Je passe pour quelqu’un d’invertébré, pourtant je suis le contraire de cela. Dans cette fantaisie des mots, où je dis tout et souvent le contraire de mon avis, j’ai néanmoins une grande rigueur : je pense que nous sommes sur Terre pour l’amour des autres et l’amour de son métier. Je m’efforce d’être gentil, je pense que c’est la suprême intelligence. J’ai demandé un jour à Mitterrand ce qui le faisait courir. Le Président m’a répondu : «?Je voudrais que le jour où je quitterai ce lieu [l’Élysée], la France soit un peu différente, un peu meilleure et que j’y sois infinitésimalement pour quelque chose.?» C’est exactement ce que je ressens pour la publicité française qui, si elle est un art mineur, n’en est pas moins notre culture immédiate.

(1) Génération Q.E., coécrit avec Christophe Haag, Pearson Education, 2009.
(2) La Terre en rond, coécrit avec Jean-Claude Baudot, Flammarion, 1960.
(3) Livre paru en 1992 aux édition Flammarion.

1. Le principal trait de mon caractère : être là où il faut quand il faut… et quand il ne faut pas.
2. La qualité que je préfère chez un individu : l’amour, au risque d’asséner des banalités.
3. Mon principal défaut : le «?no limit?», qui peut parfois blesser les gens.
4. Mon idée du bonheur : je ne sais pas… Je suis un être de l’instant.
5. Mon héros dans la fiction : Ulysse car une vie sans aventure est une vie gâchée.
6. Mes héros dans la vie réelle : Marilyn Monroe, Frank Sinatra, François Mitterrand pour être allés au bout de leur vie.
7. Ce que je déteste par-dessus tout : la haine et son succédané de l’envie.
8. La réforme que j’estime le plus : la réforme de l’Internet pour l’empêcher de s’autodétruire.

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