La récente affaire Pasqua jugée devant la Cour de justice de la République repose la question de savoir si les politiques, dépositaires de missio extraordinaires, peuvent n’être jugés que par leu pai. À citoye exceptionnels, juridictio exceptionnelles.

La récente affaire Pasqua jugée devant la Cour de justice de la République repose la question de savoir si les politiques, dépositaires de missions extraordinaires, peuvent n’être jugés que par leurs pairs. À citoyens exceptionnels, juridictions exceptionnelles.

De sa voix roucoulante qui fleure bon la Provence, le sénateur UMP s’avance et prévient les juges : « Vous ne me devez rien ». La Cour de justice de la République (CJR) condamne quelques jours plus tard, le 30 avril, Charles Pasqua à un an de prison avec sursis dans l’affaire de la société d’exportation Sofremi. L’ancien ministre de l’Intérieur est quoi qu’il en soit protégé de la prison ferme par son immunité parlementaire. Alors immunité totale, mascarade, procès de Moscou ou opérations mains propres aux yeux des citoyens ?


Privilège de juridiction

La condamnation de Charles Pasqua est apparue comme édulcorée, trop clémente au regard des quatre ans de prison, 200 000 euros d'amende et l'interdiction des droits électifs requis par l'avocat général. Son sort en eût-il différé, s’il avait été apprécié par une juridiction ordinaire ?
La Cour de justice de la République représente un véritable privilège de juridiction au profit des membres du gouvernement. Ces derniers ne sont pas jugés par des juridictions de droit commun, mais par leurs pairs, en tout cas pour bonne part : quinze juges, dont douze parlementaires (élus pour moitié par l'Assemblée nationale et pour moitié par le Sénat) et trois magistrats du siège à la Cour de cassation. Henri-Claude Le Gall, l'un de ces derniers, préside d’ailleurs la Cour. Des magistrats du siège et du parquet issus de la Cour de cassation viennent en appui et composent la commission des requêtes, la commission d'instruction et le ministère public.


De nombreuses contestations

De nature constitutionnelle, la CJR est une juridiction d’exception. C’est elle qui connaît des infractions commises par les ministres durant l'exercice de leurs fonctions. À l'origine, seul le parlement pouvait engager des poursuites contre un ministre auprès de la Haute Cour de justice. Avec la création de la CJR, par une loi de révision constitutionnelle du 27 juillet 1993 à la suite de l’affaire du sang contaminé, tout citoyen lésé peut porter plainte contre un ministre.
La Cour a déjà rendu d’illustres arrêts (affaire du sang contaminé, 9 mars 1999 ou Ségolène Royal c/ lycée Thiers de Marseille, 16 mai 2000), mais l’affaire Pasqua renvoyée devant la CJR le 17 juillet 2009 a réveillé de nombreuses contestations.
Au départ, seul le parti communiste refusait qu’une juridiction d’exception juge des politiques. Se sont adjoints aux critiques de nombreuses personnalités, des intellectuels, politiques ou juristes. Et pas des moindres. Robert Badinter, ancien garde des Sceaux, Éva Joly, eurodéputée Europe Écologie, ou Guy Carcassonne, constitutionnaliste. « Il n'y a aucune raison que les ministres soient jugés pour des affaires de corruption autrement que les citoyens ordinaires. Il faut supprimer la CJR, comme les autres juridictions d'exception. » On lui reproche son manque d’indépendance et l’inopportunité à faire intervenir l’appréciation du politique.
Dans les rangs de la défense, on comprend ces attaques. On argue néanmoins qu’au nom de la séparation du pouvoir entre l'exécutif et le judiciaire, la justice ordinaire ne peut inculper un ministre si l'affaire concerne des faits qui se sont déroulés dans le cadre de sa fonction. Autre moyen avancé, celui de la connaissance du fonctionnement du cénacle ministériel. Des tribunaux spécifiques où statuent leurs homologues, alors qu'un tribunal de droit commun raisonne uniquement en droit pur.
Une justice qui juge selon un déterminisme.


Le signe et la preuve de la liberté d'un homme

Et c’est là le danger. On sait depuis Rousseau et son Emile, que le signe et la preuve de la liberté – de jugement – d’un homme sont, sans aucun doute, la possibilité qui lui est offerte de s’écarter de sa condition naturelle et de son origine. Les deux mystères relevés qui plongent le philosophe contractualiste dans une grande perplexité – l’oiseau qui meurt de faim sur un morceau de viande et le chat qui meurt de faim sur un tas de grain – redéfinissent l’humanité de l’homme en ce qu’il est capable d’échapper à ses déterminismes.
En attendant, on planche dans les rangs d’un groupe de travail du PS sur les institutions, piloté par André Vallini, juge titulaire à la CJR, à « une réflexion sur le sujet ».

Juin 2010

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