Le professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers revient sur les attentats qui ont ébranlé la France début janvier.
Décideurs. Vous avez récemment déclaré que la France, si elle est « spécialiste de la thérapeutique face à la maladie terrorisme, pêche par son diagnostic ». Quel est-il alors et que se passe-t-il exactement ?

Alain Bauer.
Le diagnostic n'étant pas réalisé, il est difficile de l'imaginer. Nous pouvons simplement souligner les évolutions des phénomènes criminels et terroristes depuis la chute du mur de Berlin et la décentralisation des opérateurs.
Le vieux terrorisme d'État disparaît et les terrorismes régionalistes, qu’ils soient irlandais, basques, etc., ont cessé. Les Farc colombiens sont devenus essentiellement une organisation criminelle. Des résidus de ce qu'on croit devoir appeler Al-Qaida survivent marginalement, mais des hybrides apparaissent depuis Khaled Kelkal en 1995 – mi-criminels, mi-terroristes – et l’on trouve des « lumpenterroristes » [en référence au lumpenprolétariat, sous-prolétariat, de Marx] impulsifs ici et là. Le panorama est passé d'un terrorisme singulier à des terrorismes pluriels.


Décideurs. Le système de renseignement étant par nature opaque aux yeux des Français, pouvez-vous nous dire si nous sommes armés contre cela ?

A. B.
La collecte du renseignement est très bonne, la réaction aux attentats, exceptionnelle, mais l'analyse n'est pas au même niveau.
En effet, le phénomène n'est pas nouveau – Khaled Kelkal date de 1995 –, mais nous n’avons toujours pas digéré la révolution culturelle du changement de paysage.


Décideurs. S’est-on trompé d’ennemi ?

A. B.
En réalité, nous ne savons plus l'identifier.


Décideurs. La France est engagée militairement dans plusieurs pays en rapport avec les événements. Peut-on sérieusement faire la guerre au terrorisme ?

A. B.
Les terroristes font parfois la guerre, mais au terrorisme nous devons faire la police.


Décideurs. Quel est l’accélérateur des menaces terroristes : Internet qui mondialise instantanément le message moudjahidine local, les prisons, incubateurs de radicalisme, ou bien encore la défaite du principe d’intégration républicaine ?

A. B.
Un peu tout cela probablement. Mais pour l'essentiel, l’accélérateur de ces menaces provient des conséquences de choix opérés sur le terrain diplomatique.


Décideurs. La marche républicaine, si elle a été un succès à Paris, n’a réuni à Marseille que 60 000 personnes par exemple, sans parler des « quartiers ». La communauté musulmane manque-t-elle d’unité en France ou d’un représentant ?

A. B.
La communauté musulmane manque surtout d'un logiciel de décodage du discours républicain. Cela signifie également que ceux qui parlent au nom de la République doivent se donner les moyens d'être compris.


Propos recueillis par Julien Beauhaire


Photo : © Éric Lefeuvre

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