Par Pierre-Alain Guilbert, notaire associé. 14 Pyramides Notaires
Successions et divorces internationaux?: le possible choix de la loi applicable
Des règlements européens pourraient-ils simplifier le droit international de la famille ? Des époux dont le couple présente un élément d’extranéité peuvent désormais déterminer la loi applicable à certains aspects de leur éventuel divorce. Les futurs défunts peuvent quant à eux choisir la loi unique qui régira leur succession : celle de leur pays de résidence ou de leur nationalité.
Historiquement régi par d’innombrables règles de conflit et conventions bilatérales d’une articulation souvent complexe, notre droit international privé de la famille vient de se doter de deux règlements européens à vocation simplificatrice et unificatrice. Le règlement n°1259/2010 du 20 décembre 2010 relatif aux divorces, entré en vigueur le 21 juin 2012, et le règlement n°650/2012 du 4 juillet 2012 qui sera quant à lui applicable aux successions ouvertes à compter du 17 août 2015. À l’image de la convention de La Haye du 14 mars 1978 qui permet à un couple international de déterminer la loi applicable à son union, donc son régime matrimonial par défaut, ou d’en choisir et fixer une, les deux règlements du Conseil européen permettent dès à présent de choisir, dans une certaine mesure, la loi qui sera applicable à un divorce ou à une succession . Le contrat de mariage et le testament seront les instruments naturels de ces choix, et le notaire le conseil privilégié.
1-Le choix de la loi successorale
À titre liminaire, précisons que le règlement du 4 juillet 2012 ne s’applique pas aux questions fiscales, douanières, administratives, de capacité ou d’état des personnes, ni de régimes matrimoniaux. Son principal apport consiste à déterminer la loi qui sera applicable à la dévolution et au règlement civil d’une succession dans un État membre participant . Ce texte d’application universelle précise, à l’instar de la convention de La Haye susvisée, que toute loi désignée par le Règlement s’applique même si cette loi n’est pas celle d’un État membre .
a) La loi applicable par défaut
L’article 21 dispose que « sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès », avant de poursuivre « lorsque, à titre exceptionnel, il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un État autre que celui dont la loi serait applicable en vertu du paragraphe 1, la loi applicable à la succession est celle de cet autre État ». On ose à peine imaginer les difficultés que le second paragraphe pourra entraîner lorsque le rattachement à un État ne sera pas certain. Même si le choix paraîtra souvent évident, le notaire ne pourra jamais en être seul juge. Un désaccord entre ayants droit rendra une longue procédure judiciaire inévitable. Malgré cette difficulté fondamentale, le texte a pour effet de rendre une seule et même loi applicable à l’ensemble de la succession alors que le droit international privé français actuel distingue la succession mobilière (loi du dernier domicile) de l’immobilière (loi du lieu de situation des biens).
b) Le choix désormais possible de la loi successorale
L’article 22 instaure la « professio juris » réclamée de longue date par les praticiens. Désormais, « une personne peut choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès. Une personne ayant plusieurs nationalités peut choisir la loi de tout État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès ». Néanmoins, la loi désignée ne pourra être appliquée qu’à condition de ne pas heurter l’ordre public international. Ainsi, par exemple, une loi étrangère excluant les héritiers d’un certain sexe ou religion ne pourrait pas trouver application en France. Une discussion doctrinale est ouverte quant à l’éventuel caractère d’ordre public de la réserve héréditaire. On ne peut affirmer aujourd’hui qu’une loi ne la connaissant pas pourrait être appliquée en France mais rien n’interdit de le penser.
Malgré les nombreuses questions posées par le règlement, son application sans doute illusoire dans les pays non-membres, et le report à 2015 de son entrée en vigueur, il reconnaît les choix de loi opérés au moyen de dispositions testamentaires prises dès aujourd’hui. Une réflexion doit donc impérativement être menée par les personnes concernées, avec leurs notaires.
2-La loi applicable au divorce
Le règlement 1259/2010 s’applique au divorce et à la séparation de corps, mais ne traite malheureusement pas de nombreuses questions, au premier rang desquelles figurent les effets patrimoniaux du mariage et les questions alimentaires. Malgré ces lacunes, le règlement dispose qu’à défaut de choix par les époux, le divorce et la séparation de corps sont soumis à la loi
de l’État :
- de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut,
- de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que cette résidence n’ait pas pris fin plus d’un an avant la saisine de la juridiction et que l’un des époux réside encore dans cet État au moment de ladite saisine ; ou, à défaut,
- de la nationalité des deux époux au moment de la saisine ; ou, à défaut,
- dont la juridiction est saisie.
Le grand apport du règlement réside dans son article 5, lequel permet aux époux de choisir l’une des lois suivantes :
- la loi de l’État de leur résidence habituelle au moment de la conclusion de la convention ; ou
- la loi de l’État de leur dernière résidence habituelle, pour autant que l’un d’eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention ; ou
- la loi de l’État de la nationalité de l’un d’eux au même moment ; ou
- la loi du for.
Les articles 6 et 7 précisent les modalités formelles de la convention par laquelle les époux peuvent opérer leur choix. En France, celle-ci pourra naturellement prendre la forme d’une clause spécifique insérée dans un contrat de mariage. Toutefois, le notaire ne devra pas omettre d’indiquer aux parties que malgré sa vocation universelle, le règlement européen ne sera pas opposable aux tribunaux d’États non signataires qui pourraient être saisis du divorce. L’efficacité du choix de loi pourrait ainsi être limitée dans de nombreux divorces, notamment hors des frontières européennes, mais les possibilités offertes par le règlement rendent impensable son ignorance. Tout époux ayant vocation à s’établir à l’étranger doit être averti de ces nouvelles dispositions et de la possibilité qu’il a désormais de ne plus nécessairement subir les changements de loi applicable à chaque expatriation. La pratique a bien assimilé ces questions en matière de régimes matrimoniaux depuis vingt ans, ne doutons pas qu’il en ira de même pour le divorce.
Historiquement régi par d’innombrables règles de conflit et conventions bilatérales d’une articulation souvent complexe, notre droit international privé de la famille vient de se doter de deux règlements européens à vocation simplificatrice et unificatrice. Le règlement n°1259/2010 du 20 décembre 2010 relatif aux divorces, entré en vigueur le 21 juin 2012, et le règlement n°650/2012 du 4 juillet 2012 qui sera quant à lui applicable aux successions ouvertes à compter du 17 août 2015. À l’image de la convention de La Haye du 14 mars 1978 qui permet à un couple international de déterminer la loi applicable à son union, donc son régime matrimonial par défaut, ou d’en choisir et fixer une, les deux règlements du Conseil européen permettent dès à présent de choisir, dans une certaine mesure, la loi qui sera applicable à un divorce ou à une succession . Le contrat de mariage et le testament seront les instruments naturels de ces choix, et le notaire le conseil privilégié.
1-Le choix de la loi successorale
À titre liminaire, précisons que le règlement du 4 juillet 2012 ne s’applique pas aux questions fiscales, douanières, administratives, de capacité ou d’état des personnes, ni de régimes matrimoniaux. Son principal apport consiste à déterminer la loi qui sera applicable à la dévolution et au règlement civil d’une succession dans un État membre participant . Ce texte d’application universelle précise, à l’instar de la convention de La Haye susvisée, que toute loi désignée par le Règlement s’applique même si cette loi n’est pas celle d’un État membre .
a) La loi applicable par défaut
L’article 21 dispose que « sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès », avant de poursuivre « lorsque, à titre exceptionnel, il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un État autre que celui dont la loi serait applicable en vertu du paragraphe 1, la loi applicable à la succession est celle de cet autre État ». On ose à peine imaginer les difficultés que le second paragraphe pourra entraîner lorsque le rattachement à un État ne sera pas certain. Même si le choix paraîtra souvent évident, le notaire ne pourra jamais en être seul juge. Un désaccord entre ayants droit rendra une longue procédure judiciaire inévitable. Malgré cette difficulté fondamentale, le texte a pour effet de rendre une seule et même loi applicable à l’ensemble de la succession alors que le droit international privé français actuel distingue la succession mobilière (loi du dernier domicile) de l’immobilière (loi du lieu de situation des biens).
b) Le choix désormais possible de la loi successorale
L’article 22 instaure la « professio juris » réclamée de longue date par les praticiens. Désormais, « une personne peut choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès. Une personne ayant plusieurs nationalités peut choisir la loi de tout État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès ». Néanmoins, la loi désignée ne pourra être appliquée qu’à condition de ne pas heurter l’ordre public international. Ainsi, par exemple, une loi étrangère excluant les héritiers d’un certain sexe ou religion ne pourrait pas trouver application en France. Une discussion doctrinale est ouverte quant à l’éventuel caractère d’ordre public de la réserve héréditaire. On ne peut affirmer aujourd’hui qu’une loi ne la connaissant pas pourrait être appliquée en France mais rien n’interdit de le penser.
Malgré les nombreuses questions posées par le règlement, son application sans doute illusoire dans les pays non-membres, et le report à 2015 de son entrée en vigueur, il reconnaît les choix de loi opérés au moyen de dispositions testamentaires prises dès aujourd’hui. Une réflexion doit donc impérativement être menée par les personnes concernées, avec leurs notaires.
2-La loi applicable au divorce
Le règlement 1259/2010 s’applique au divorce et à la séparation de corps, mais ne traite malheureusement pas de nombreuses questions, au premier rang desquelles figurent les effets patrimoniaux du mariage et les questions alimentaires. Malgré ces lacunes, le règlement dispose qu’à défaut de choix par les époux, le divorce et la séparation de corps sont soumis à la loi
de l’État :
- de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut,
- de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que cette résidence n’ait pas pris fin plus d’un an avant la saisine de la juridiction et que l’un des époux réside encore dans cet État au moment de ladite saisine ; ou, à défaut,
- de la nationalité des deux époux au moment de la saisine ; ou, à défaut,
- dont la juridiction est saisie.
Le grand apport du règlement réside dans son article 5, lequel permet aux époux de choisir l’une des lois suivantes :
- la loi de l’État de leur résidence habituelle au moment de la conclusion de la convention ; ou
- la loi de l’État de leur dernière résidence habituelle, pour autant que l’un d’eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention ; ou
- la loi de l’État de la nationalité de l’un d’eux au même moment ; ou
- la loi du for.
Les articles 6 et 7 précisent les modalités formelles de la convention par laquelle les époux peuvent opérer leur choix. En France, celle-ci pourra naturellement prendre la forme d’une clause spécifique insérée dans un contrat de mariage. Toutefois, le notaire ne devra pas omettre d’indiquer aux parties que malgré sa vocation universelle, le règlement européen ne sera pas opposable aux tribunaux d’États non signataires qui pourraient être saisis du divorce. L’efficacité du choix de loi pourrait ainsi être limitée dans de nombreux divorces, notamment hors des frontières européennes, mais les possibilités offertes par le règlement rendent impensable son ignorance. Tout époux ayant vocation à s’établir à l’étranger doit être averti de ces nouvelles dispositions et de la possibilité qu’il a désormais de ne plus nécessairement subir les changements de loi applicable à chaque expatriation. La pratique a bien assimilé ces questions en matière de régimes matrimoniaux depuis vingt ans, ne doutons pas qu’il en ira de même pour le divorce.