Des serial risqueurs pas encore rattrapés par la psychose
Épargnés par la crise du crédit qui a mis le LBO en veille, le capital risque se voit à son tour mis en danger par la crise de confiance. Victime de son manque de communication, il est associé à tort avec les hedge funds, fonds LBO et autres bêtes noires des législateurs français et européens. Les fonds levés à ce jour permettront aux plus brillants de profiter des opportunités actuelles et de connaître une d’activité soutenue.
Deux phénomènes inquiètent aujourd’hui le capital-risque français : la révision prochaine de la loi TEPA1 et la directive Solvency II2, annoncée depuis longtemps déjà par une Commission européenne qui veut stabiliser le secteur des assurances.
La loi TEPA a permis aux pionniers des fonds ISF de lever plus de 532 millions d’euros en 2008 contre seulement 372 millions en 2009. Cette violente contraction devrait laisser certains acteurs sur le carreau. Les explications sont multiples. Les contribuables fortunés ont vu leurs actifs touchés par la crise et sont plus frileux en 2009 qu’en 2008. Les levées de fonds directement attribuables à la défiscalisation ISF reculent de 4 %.
De leur côté, les holdings ISF attirent de plus en plus de capitaux, 233 millions d’euros en 2009 contre 126 millions d’euros en 2008. Cette croissance se fait au détriment des FIP (Fonds d’investissement de proximité) et FCPI (Fonds commun de placement dans l’innovation). Mais les investissements de ces holdings ne se concentrent pas forcément sur les PME innovantes, mais plutôt sur des placements moins risqués et moins complexes.
Évolutions législatives
Ces deux phénomènes conjoncturels inquiètent bien moins que les projets de Jean Arthuis, président de la commission des finances du Sénat. Sa proposition de loi3 s’attire les foudres de l’ensemble des capital-risqueurs. Elle a pour objectif de réduire à 12 mois maximum le délai entre la collecte des fonds ISF et leur investissement.
Les gestionnaires de fonds crient au gaspillage. Les investisseurs particuliers ne sont nullement rassurés et préféreront sacrifier à la fiscalité, plutôt que de participer à des investissements hasardeux.
Au niveau européen, la directive Solvency II impose aux groupes d’assurance d’immobiliser 45 € en fonds propres pour 100 € investis dans le capital-risque. Si ces investissements restent négligeables par rapport au portefeuille d’investissement des assureurs (environ 2 %), la réduction de ces montants inquiète les fonds de capital-risque en proportion de leur exposition à ces bailleurs de fonds.
Équilibre remis en question
Au-delà des problématiques de cash qui se posent, la sortie des assureurs et la diminution des placements de particuliers remet en question l’équilibre de financement des fonds. Pour attirer les grands institutionnels, les fonds doivent justifier d’une confiance certaine de la part d’investisseurs privés et particuliers. La remise en cause de la loi TEPA et la directive Insolvency II ébranlent deux piliers de cet équilibre, alors que la directive Bâle II avait déjà fait fuir un grand nombre de banques.
La dernière levée de fonds importante réalisée en France remonte à juillet 2008. Serena Capital lève alors 60 millions d’euros. En mai 2008, le géant français Sofinnova a levé le fonds Sofinnova Capital VI, qui, avec 205 millions d’euros, n’a pas atteint les objectifs fixés à 400 millions selon une source proche du dossier. Le fonds était toujours ouvert à souscription à la mi-2009. Depuis juillet 2008, aucun fonds important n’a été levé selon l’AFIC. Cela refléte la période difficile que traverse le capital risque.
Les espoirs d’aujourd’hui reposent principalement sur les capitaux privés. « Les holdings ISF pourraient représenter un nouveau marché, si elles ne sont pas transformées en usine à gaz réglementaire », prédit Henri Moulard, président et cofondateur de Truffle Capital.
Bonne résistance des portefeuilles
Peu exposés aux effets de levier, les portefeuilles des capital-risqueurs ont bien résisté à la crise. La dégradation des conditions de marché a, avant tout, touché les entreprises du secteur IT (information technologies). Les fonds sont alors intervenus en recapitalisant les participations endommagées. Cela explique aussi la baisse des interventions en seed et premier tour. En France, le nombre d’interventions dans ces deux secteurs a diminué d’environ 35 %, entre 2007 et 2008.
Les fonds qui n’ont pas eu à recapitaliser leurs participations restent néanmoins prudents et prêts à intervenir si la situation économique ne se redressait pas en 2010. Cette prudence se reflète aussi sur l’intervention des fonds en seed et premier tour, qui ont généralement diminué en 2008 par rapport à 2007 et devraient connaître le même sort en 2009.
Prudence, malgré des opportunités réelles
Mais une grande majorité des capital-risqueurs a les ressources nécessaires pour surmonter cette période creuse, et même pour profiter des valorisations au plus bas et faire des investissements intéressants.
Dans ce domaine, Truffle Capital s’illustre tout particulièrement : le nombre d’investissements en seed et premier tour est passé de 8 en 2007 à 17 en 2008. « Il faut savoir tirer profit de valorisations au plus bas, quand on a les réserves nécessaires, mais nous gardons la marge de manœuvre indispensable en cas de difficulté pour les entreprises de notre portefeuille en 2010 », explique Bernard-Louis Rocque, general partner de Truffle Capital, en charge des participations dans le domaine des technologies de l’information.
Mais Truffle Capital reste une exception. Auriga Partners, très actif dans ce domaine en 2007 a dû réduire ses interventions de 50 % en 2008.
Pas de grandes surprises non plus au niveau des fonds investis. Le fonds le plus actif sur l’année 2008 reste Sofinnova, même si les investissements ont chuté de plus de 30 %. Les grands fonds généralistes sont généralement plus touchés et plus prudents que des spécialistes de taille moyenne. En bas de l’échelle, 5 fonds n’ont pas réalisé d’investissements sur un des deux semestres, un nombre inhabituellement élevé par rapport aux années précédentes.
Perles rares
Plus que jamais, les fonds recherchent la perle rare et prennent leur temps pour conclure leurs deals. Des opérations comme celle de Convertigo, qui a levé 3 millions d’euros en à peine 3 mois de premier tour auprès d’Auriga Capital, restent extrêmement rares.
Les premiers tours ont plutôt tendance à s’allonger et les capital-risqueurs s’intéressent de plus en plus aux seconds, voire troisièmes tours. Ils investissent alors dans des business models et des entrepreneurs qui ont déjà fait leurs preuves.
Paradoxalement, les general partners des grands fonds français et européens soulignent presque unanimement qu’ils n’ont jamais eu des dossiers aussi nombreux et d’aussi bonne qualité sur les tables de négociations qu’en cette période trouble. Cette affirmation augure des temps meilleurs, si les financements du capital risque ne continuent pas à se contracter…
Fenêtre des sorties fermée
En ces temps troubles, dans lesquels le capital-développement et l’IPO ne prennent plus réellement la relève du capital risque, les GPs se préparent à conserver les portefeuilles plus longtemps. Cela ralenti aussi les investissements. Une partie du cash doit être préservée pour soutenir le développement du portefeuille.
Les sorties par cession-fusion avec des grands groupes deviennent de plus en plus fréquentes, notamment dans le domaine des biotechs. Les valorisations sont au plus bas. Les fonds attendent, ici encore, les opportunités réelles pour sortir. À moins d’être en difficulté financière, le GP ne sacrifiera pas à la rentabilité du fonds en effectuant des sorties intempestives.
Croissance en « J » ou stagnation en « L » ?
Deux scénarios se dessinent dans le monde des possibles du capital-risque français et européen. Soit les levées de fonds se tassent du fait de l’évolution réglementaire et les investissements des capital-risqueurs stagneraient à un niveau comparable à celui de 2009. Soit les équilibres se rétablissent et le capital-risque connaîtra une croissance, probablement plus lente que les dernières années du fait de l’évolution de l’environnement réglementaire.