La société publique locale: un mode d'intervention public réservé
La création de sociétés publiques locales autorise les communes, régions et départements à créer des sociétés anonymes dont elles sont les seules actionnaires. La société doit effectuer l'essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent.
La loi n°2010-559 du 28 mai 2010 (parue au Journal officiel du 29 mai 2010) pour le développement des sociétés publiques locales autorise les collectivités locales, et leurs groupements, à créer des sociétés anonymes dont elles détiennent la totalité du capital afin de poursuivre les opérations de construction, d’aménagement, de gestion de services publics à caractère industriel et commercial ou toute activité d’intérêt général. Ce texte généralise une exception qui avait été reconnue aux collectivités locales pour leurs seules opérations d’aménagement par la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006 d’engagement national pour le logement et pour une durée expérimentale de cinq ans. Le dispositif initial créant la Spla, ancêtre mineur de la société publique locale (SPL) – remanié par la loi n°299-323 du 25 mars 2009, puis par le texte adopté le 28 mai 2010 – répondait de façon trop étroite à la demande des collectivités locales. C’est donc à l’unanimité que le texte de la proposition de loi de 2010 a été adopté (Sénat proposition. Loi n°253, 2008-209).
Le Code général des collectivités territoriales réunit désormais deux titres :
- Le premier traitant des sociétés publiques locales à capital mixte (SEML),
- Le second créant les sociétés publiques locales (SPL) dont le capital est détenu en totalité par les collectivités locales ou leurs groupements (Article L 1531-1) du CGCT.
Les personnes publiques sont autorisées à faire exécuter leurs prestations dans le domaine de la construction, de l’aménagement et de la gestion des services publics par une SPL, quasi-régie, dans le but d’être dispensées d’une mise en concurrence pour les prestations que la SPL exécute exclusivement pour ses actionnaires, par exception aux principes applicables en matière d’achat public (CJCE, 7 décembre 2000, teleaustria Verlags aff C-324/98).
Un exercice imposé par le droit communautaire
Cette solution désormais inscrite à l’article L 1531-1 du CGCT était finalement dictée aux parlementaires par le droit communautaire.
En 2005, la Cour de Justice a jugé qu’une personne publique ne pouvait entretenir de relations en quasi régie avec une société externe dont le capital serait mixte du fait de la présence d’un seul actionnaire privé (CJCE 11 janvier 2005, Stadt Halle Aff. C-26/03 : Rec CJCE 2005, I p 1).
On se demandait donc à quoi servaient les dispositions inscrites au code des marchés publics, ou dans l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin 2005, ou au code de l’urbanisme pour les concessions d’aménagement et désormais au CGCT aux articles L 1411-12 et suivants pour la passation des contrats de délégation de service public, réserve faite que pour les DSP, le texte désigne expressément les seuls établissements publics et SPL.
Ces textes sont la traduction littérale de la jurisprudence communautaire (CJCE, 18 novembre 1999, affaire C-107/98, Teckal Srl c/ Commune di Viano et Azienda Gas-Acqua Consorziale (AGAC) di Reggio Emilia, aff. C-107/98) aux termes de laquelle les contrats conclus par un pouvoir adjudicateur avec un cocontractant sur lequel il exerce un contrôle comparable à celui qu’il assure sur ses propres services et qui réalise l’essentiel de ses activités pour lui, sont exclus du champ d’application de la réglementation applicable aux marchés publics. Ces contrats sont dénommés « contrats de prestations intégrées » ou contrats « in house ».
Les conditions du "in house"
Mais à quelle institution s'applique le sésame? Pas aux SEML du fait de la seule présence de l’actionnaire privé. «?La? participation,? fût-elle minoritaire,? d’une? entreprise? privéedans? le?capital?d’une?société?à? laquelle participe? également? le?pouvoir?adjudicateur?en?cause,?exclut?en?tout?état de?cause?que?ce?pouvoir adjudicateur puisse? exercer? sur? cette? société? un contrôle?analogue?à?celui?qu’il?exerce sur? ses? propres? services? (voir? arrêt Stadt?Halle? et?RPL?Lochau,?précité, point?49).?»? ( CJCE, 8 avril 2008, C-337/05, Commission des communautés européennes c/ République italienne). Les juridictions administratives ont reconnu la qualité du in house à une association (CE 6 avril 2007; Aix en Provence n° 284736), à un Opac (CAA de Paris 30 juin 2009 n° 07PA02380 ) à un Gip constitué entre établissements publics (CE 4 mars 2009, Syndicat national des industries d’information de santé, n°300348). La Spla créée en 2006 répondait à cette tendance exprimée dans le domaine de l’aménagement (article L 327-1 du code de l’urbanisme ).
Encore faut-il que l’institution qui se réclame du in house réponde point par point aux exigences structurelles imposées par le droit communautaire : l’entité juridique, bien que distincte du pouvoir adjudicateur, sera autorisée à réaliser des missions de gré à gré avec le pouvoir adjudicateur commanditaire s’il exerce sur cette entité? «?un contrôle analogue? (ou?comparable)? à celui?qu’il? exerce? sur? ses?propres? services?» (première condition) et que cette entité distincte réalise «?l’essentiel?de? ses?activités?avec? la?ou? les autorités? publiques? qui? la? détiennent?» (deuxième condition). On ajourera que le droit interne impose une troisième condition : le respect par la structure in house des dispositions imposées par le code des marchés publics ou de l’ordonnance du 6 juin 2005 pour la passation de ses propres contrats. Ainsi, la CJCE examine la composition du capital, l'objet et les restrictions aux interventions de l'organisme in house.
La société reconnue in house doit «?se? borner? à? exécuter? les? ordres? des?pouvoirs? publics,? sans? pouvoir? les?refuser? ni? fixer? le? prix? de? ses? interventions.?» (CJCE, 19 avril 2007, Asociación Nacional de Empresas Forestales -Asemfo- contre Transformación Agraria SA [Tragsa] et Administración del Estado – n°C 295/05).? «?Ni?la?société in?house?ni? ses?filiales?ne peuvent?participer aux?procédures? d'adjudication? de? marchés?mises? en?place?par? les?autorités?publiques.? Cependant,? en? l'absence?de?tout?soumissionnaire,?la?société?in?house?peut?se?voir?confier?l'exécution?de?l'activité?objet?de?l'appel?d’offres?à?caractère?public.
Enfin la CJCE constate aussi le mode de fonctionnement réel : les interventions obligatoires qui sont confiées à la structure in house ou à ses filiales font l’objet, selon le cas, de?«?projets,?mémoires?ou?autres?documents? techniques? (…)? avant?de?définir? la?commande,? les?organes?compétents?approuvent?ces?documents?et?suivent?les?procédures?obligatoires,?formalités? techniques,? juridiques,?budgétaires?et?de?contrôle?et?d’approbation?de? la?dépense? ;? la? commande?de? chaque? intervention? obligatoire?est? communiquée? formellement? par?l’administration? au? moyen? d’une?demande? contenant? outre? les? informations? utiles,? la? dénomination? de?l’autorité,?le?délai?de?réalisation,?son?montant,? le?poste?budgétaire? correspondant? et?le?cas? échéant les?annualités?sur?lesquels?le?financement?a?lieu?et?le?montant?respectif?y?afférent?ainsi?que?le?directeur?désigné?pour?l’intervention?à?réaliser?.?»
C’est pour répondre à la première condition que la SPL est créée entre actionnaires publics exclusivement. Le seul constat d’une dépendance institutionnelle et fonctionnelle importante du cocontractant à l’égard de la personne publique ne suffit pas à qualifier un contrat in house. Il faut également que ce lien organique s’accompagne d’une quasi-exclusivité de la fourniture des prestations concernées au profit de la personne publique signataire du contrat. Alors, ces prestations seront assimilées à celles dont pourrait disposer la personne publique en recourant à ses propres ressources internes. C’est pourquoi statutairement, la SPL est habilitée à intervenir exclusivement pour le compte de ses actionnaires et sur leur territoire. Le pouvoir adjudicateur, qui voudra se prévaloir d’une situation in house, devra en faire la démonstration pratique.
Sur l'auteur
Marie-Yvonne Benjamin est avocat en droit des sociétés au sein du cabinet Genesis, cabinet spécialisé en droit public, droit de l’environnement et droit du financement associé à ces projets (contrats complexes, PPP, DSP, BEA, BEH).