Le quinquennat de Nicolas Sarkozy vu par Philippe Bilger
Entretien avec Philippe Bilger, ancien avocat général près la cour d'appel de Paris
L’élection a beau s’effectuer par le prisme du Parlement ou directement par le peuple, il en va des vingt-trois présidents de la République comme des Rois de France précédemment, un lien unique, celui de la filiation avec les Français.
Le président de la République, c’est le père, la figure tutélaire qui doit assurer l’autorité nationale et la représentation de ceux qui l’ont élu – et de ceux qui ne l’ont pas désigné. Sa seule limite, c’est l’État de droit. Héritier d’un pouvoir monarchique, il est le chef des armées, le premier magistrat de France, le chef de la diplomatie et le détenteur du droit de grâce. Son élection passionne les Français. L’intuitu personae qui lie le peuple au souverain mobilise les foules : 83,77 % des inscrits en 2007, 84,8 % en 1965 et 84,23 % en 1974. À ce niveau-là, le suffrage universel direct n’est plus la marque concrète d’un signe d’intérêt, il est l’attachement viscéral des Français au monarque républicain.
Philippe Bilger s'exprime sur le sujet
Décideurs. Le lien qui unit les Français et le président de la République n’est-il pas trop passionnel pour ne pas ternir inévitablement le bilan de l’action de Nicolas Sarkozy ?
Philippe Bilger. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été marqué par une rupture dans la conception classique de la présidence. Rupture catastrophique qui risque bien d’être irréversible. Le Président a violé les règles attendues par les citoyens. Ce lourd passif obère tout ce qu’il accomplit depuis.
Il y a quelque chose chez Nicolas Sarkozy qui l’empêche d’être Président. Je pense qu’il a raté une marche entre son poste de ministre de l’Intérieur et la présidence de la République. Il aurait sans doute dû être Premier ministre.
Décideurs. Justement, n’a-t-il pas endossé le rôle du Premier ministre et celui de président de la République, mettant ainsi à mal l’institution de la Ve République ?
P. B. En renouvelant François Fillon à son poste, Nicolas Sarkozy a déréglé le jeu de la Ve République. Et outre la question de savoir si l’article 20 [disposant des attributions du gouvernement, ndlr] a ou non été dénaturé, le Premier ministre a commis une erreur en acceptant ce renouvellement, face à Jean-Louis Borloo. Il a choisi le pouvoir contre le peuple. Nicolas Sarkozy a englouti François Fillon, montrant ainsi à tout le monde sa volonté d’assumer la France dans son entier.
Décideurs. Que souhaitent finalement les Français ?
P. B. Le peuple français rêve d’un Jacques Chirac qui agirait, c'est-à-dire d’un père dans l’action, à mi-chemin entre la majesté et l’intensité due à son rang. Pourtant, si Nicolas Sarkozy partage avec les Français un attachement à une culture populaire, comme son prédécesseur, il est incapable d’éprouver de l’empathie, à l’image de Jacques Chirac.
Les Français souhaitent en réalité quelqu’un comme Nicolas Sarkozy, mais débarrassé de son excitation de candidat. Il est resté durant une grande partie de son mandat ce candidat un peu fou qui saute les haies et a du mal à appliquer les sacrifices d’un Président.
Personne ne veut, en réalité, voir chez un Président les coutures du candidat. Le problème, c’est que lorsque Nicolas Sarkozy est classique, on a mieux que lui. Et quand il est lui-même, on n’en veut plus.
Décideurs. Quel ressenti éprouve l’homme de droite que vous êtes à l’issue du quinquennat de Nicolas Sarkozy ?
P. B. Il y a quelque chose de passionnant chez Nicolas Sarkozy, c’est qu’il inaugure une ère où l’économie globale de la personne devient primordiale. Désormais la politique des faits et des gestes n’est plus secondaire et on assiste, au niveau présidentiel, à un effacement progressif et relatif de la politique au profit de l’être présidentiel. Je dois avouer que je suis d’une droite bizarre, c'est-à-dire que je ressens de l’attachement pour l’être et la personne, plus que pour le fond.
Ne nous méprenons pas : Nicolas Sarkozy est un personnage complexe qui mérite tout sauf une vision sommaire. Il ne faut pas dissimuler ses actes sous sa trop lourde personnalité et sa grossièreté républicaine. Néanmoins, au regard de certains de ses actes, de la Lanterne à Versailles confisquée au Premier ministre à sa détestation des diplomates et des magistrats qu’il a traité de « petits pois », je ne peux que douter du bien-fondé de cet étalage sur la table démocratique.
Le président de la République, c’est le père, la figure tutélaire qui doit assurer l’autorité nationale et la représentation de ceux qui l’ont élu – et de ceux qui ne l’ont pas désigné. Sa seule limite, c’est l’État de droit. Héritier d’un pouvoir monarchique, il est le chef des armées, le premier magistrat de France, le chef de la diplomatie et le détenteur du droit de grâce. Son élection passionne les Français. L’intuitu personae qui lie le peuple au souverain mobilise les foules : 83,77 % des inscrits en 2007, 84,8 % en 1965 et 84,23 % en 1974. À ce niveau-là, le suffrage universel direct n’est plus la marque concrète d’un signe d’intérêt, il est l’attachement viscéral des Français au monarque républicain.
Philippe Bilger s'exprime sur le sujet
Décideurs. Le lien qui unit les Français et le président de la République n’est-il pas trop passionnel pour ne pas ternir inévitablement le bilan de l’action de Nicolas Sarkozy ?
Philippe Bilger. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été marqué par une rupture dans la conception classique de la présidence. Rupture catastrophique qui risque bien d’être irréversible. Le Président a violé les règles attendues par les citoyens. Ce lourd passif obère tout ce qu’il accomplit depuis.
Il y a quelque chose chez Nicolas Sarkozy qui l’empêche d’être Président. Je pense qu’il a raté une marche entre son poste de ministre de l’Intérieur et la présidence de la République. Il aurait sans doute dû être Premier ministre.
Décideurs. Justement, n’a-t-il pas endossé le rôle du Premier ministre et celui de président de la République, mettant ainsi à mal l’institution de la Ve République ?
P. B. En renouvelant François Fillon à son poste, Nicolas Sarkozy a déréglé le jeu de la Ve République. Et outre la question de savoir si l’article 20 [disposant des attributions du gouvernement, ndlr] a ou non été dénaturé, le Premier ministre a commis une erreur en acceptant ce renouvellement, face à Jean-Louis Borloo. Il a choisi le pouvoir contre le peuple. Nicolas Sarkozy a englouti François Fillon, montrant ainsi à tout le monde sa volonté d’assumer la France dans son entier.
Décideurs. Que souhaitent finalement les Français ?
P. B. Le peuple français rêve d’un Jacques Chirac qui agirait, c'est-à-dire d’un père dans l’action, à mi-chemin entre la majesté et l’intensité due à son rang. Pourtant, si Nicolas Sarkozy partage avec les Français un attachement à une culture populaire, comme son prédécesseur, il est incapable d’éprouver de l’empathie, à l’image de Jacques Chirac.
Les Français souhaitent en réalité quelqu’un comme Nicolas Sarkozy, mais débarrassé de son excitation de candidat. Il est resté durant une grande partie de son mandat ce candidat un peu fou qui saute les haies et a du mal à appliquer les sacrifices d’un Président.
Personne ne veut, en réalité, voir chez un Président les coutures du candidat. Le problème, c’est que lorsque Nicolas Sarkozy est classique, on a mieux que lui. Et quand il est lui-même, on n’en veut plus.
Décideurs. Quel ressenti éprouve l’homme de droite que vous êtes à l’issue du quinquennat de Nicolas Sarkozy ?
P. B. Il y a quelque chose de passionnant chez Nicolas Sarkozy, c’est qu’il inaugure une ère où l’économie globale de la personne devient primordiale. Désormais la politique des faits et des gestes n’est plus secondaire et on assiste, au niveau présidentiel, à un effacement progressif et relatif de la politique au profit de l’être présidentiel. Je dois avouer que je suis d’une droite bizarre, c'est-à-dire que je ressens de l’attachement pour l’être et la personne, plus que pour le fond.
Ne nous méprenons pas : Nicolas Sarkozy est un personnage complexe qui mérite tout sauf une vision sommaire. Il ne faut pas dissimuler ses actes sous sa trop lourde personnalité et sa grossièreté républicaine. Néanmoins, au regard de certains de ses actes, de la Lanterne à Versailles confisquée au Premier ministre à sa détestation des diplomates et des magistrats qu’il a traité de « petits pois », je ne peux que douter du bien-fondé de cet étalage sur la table démocratique.