Par Fabrice Cacoub, avocat associé. Lawington
Un arrêt rendu le 20 septembre 2011 par la chambre commerciale de la Cour de cassation donne une parfaite illustration des conséquences dangereuses et parfois préjudiciables pour son (ou ses) bénéficiaire(s) de la mise en œuvre d’une clause de buy or sell contenue dans un pacte d’actionnaires.

Création de la pratique, les pactes d’actionnaires ont connu un développement considérable au cours des dernières années, notamment dans le cadre d’opérations de concentration d’entreprises (joint-ventures) ou de prises de participation (majoritaires ou minoritaires) par des fonds d’investissement. Signe d’une contractualisation croissante du droit des sociétés, les pactes d’actionnaires permettent à leurs rédacteurs de sortir du carcan trop pointilliste du législateur et de faire preuve d’ingéniosité et de réalisme pour répondre au mieux aux aspirations des investisseurs devenus actionnaires d’une société commune. Pour autant, la mise en œuvre des clauses d’un pacte d’actionnaires peut se révéler dangereuse pour son (ou ses) bénéficiaire(s), en particulier lorsque les magistrats ont l’occasion de les analyser.

Une première application jurisprudentielle
Une récente affaire en donne une parfaite illustration à l’occasion de la mise en œuvre d’une clause de buy or sell. Cette clause (encore appelée clause d’offre alternative, voire clause de roulette russe ou shot-gun) a pour objectif principal de résoudre les situations de blocage entre actionnaires. Elle permet à un actionnaire (ou groupe d’actionnaires) soit de sortir un autre actionnaire (ou groupe d’actionnaires) en lui rachetant l’intégralité de ses titres détenus dans la société, soit d’obliger cet autre actionnaire à le sortir en lui rachetant l’intégralité de ses titres et ce, au prix que cet actionnaire aura unilatéralement fixé. En l’espèce, un groupe d’actionnaires majoritaires, après s’être vu notifié par un grand corporate (Sodexo) son intention d’acquérir l’ensemble des titres de la société, a conclu un pacte avec le groupe d’actionnaires minoritaires contenant une clause de buy or sell, puis s’est engagé par écrit et sous condition suspensive à l’égard de Sodexo à lui céder
100 % des titres de la société pour un certain prix. Par la suite, le groupe majoritaire a décidé de mettre œuvre la clause de buy or sell du pacte en proposant au groupe minoritaire un prix de rachat… décoté de plus de 40 % par rapport au prix convenu avec Sodexo ! Puis, le groupe minoritaire a été informé par le groupe majoritaire de l’offre ferme de rachat de Sodexo et s’est vu proposé de bénéficier d’une offre pari passu (s’apparentant à une clause de tag along ou droit de sortie conjointe) lui permettant de céder sa participation à Sodexo aux mêmes prix et conditions que le groupe majoritaire. Pour autant, le groupe minoritaire a refusé cette offre et a décidé de retourner l’exercice de la clause de buy or sell à son profit pour racheter (au prix offert par le groupe majoritaire dans sa notification) la participation du majoritaire dans la société… le minoritaire étant, par ailleurs, en discussions avancées avec un autre repreneur, concurrent de Sodexo et offrant un prix plus élevé pour le rachat des titres de la société ! De ce fait, au titre de l’exécution de la clause de buy or sell, le majoritaire a été contraint de céder ses titres au minoritaire (à un prix décoté) et le minoritaire a ensuite pu céder 100 % des titres de la société au repreneur concurrent (réalisant ainsi une substantielle plus-value).

Une double sanction
Le pari tenté par le majoritaire, dans ce petit jeu, s’est donc révélé perdant. Au final, il s’est même révélé désastreux. En effet, le majoritaire ne pouvant plus respecter son engagement à l’égard de Sodexo de vendre (sous condition suspensive) 100 % des titres de la société, cette dernière a saisi la justice pour obtenir la réalisation forcée de la cession projetée et, à titre subsidiaire, la réparation du préjudice subi au titre de la non-réalisation de la vente. La Haute Juridiction, sous le visa de l’article 1178 du Code civil, a considéré que la cour d’appel de Versailles justifiait légalement sa décision de condamner les majoritaires au paiement (provisionnel) à Sodexo de 8 500 000 euros à titre de dommages et intérêts (soit plus que les 5 900 000 euros convenus avec Sodexo pour le rachat de 100% des titres de la société !) dès lors qu’elle avait relevé que les majoritaires « avaient proposé, pour l’exécution [de la clause de buy or sell] (…), un prix manifestement sous-évalué par rapport à celui convenu avec la société Sodexho, (…) qu’ils ont exécuté de mauvaise foi l’obligation à laquelle ils s’étaient engagés envers cette dernière et ont ainsi, de leur propre fait, empêché l’accomplissement de la condition qui assortissait l’obligation dont ils étaient débiteurs et qui, dès lors, devait être réputée accomplie ».

Les principaux enseignements
D’une part, cette décision est la parfaite démonstration que la mise en œuvre d’une clause de buy or sell doit aboutir à un prix relativement juste. Comme l’a souligné un auteur, celle-ci s’apparente davantage à un « baromètre du juste prix » qu’à un « instrument de spéculation » : l’appât de la réalisation d’une plus-value substantielle en cas de revente ne doit pas être le principal facteur de sa mise en œuvre, sous peine, pour l’actionnaire initiateur de la clause de buy or sell, de se retrouver dans la position de l’arroseur arrosé. D’autre part, elle invite les praticiens à se montrer particulièrement précis et rigoureux dans sa rédaction pour éviter ce type de situation, en particulier si le pacte ne contient pas de clause de drag along (ou obligation de sortie conjointe, permettant au majoritaire de contraindre le minoritaire à sortir aux mêmes prix et conditions). Comme l’a rappelé un auteur, il pourrait être opportun de prévoir une « procédure de surenchère » aux fins de permettre à l’actionnaire initiateur de corriger son offre initiale dans le cas où elle serait jugée insuffisante par l’autre actionnaire. Chacun des actionnaires pourrait ainsi, concomitamment et par écrit, par le recours à un tiers de confiance, surenchérir, le plus fort enchérisseur remportant alors la mise. En l’espèce, cela permettrait d’éviter au majoritaire d’être in fine exclu de la société en bradant ses titres, même s’il n’en resterait pas moins défaillant vis-à-vis de son repreneur…

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