Brice TeinturierDirecteur général adjoint de TNS Sofres

Brice Teinturier
Directeur général adjoint de TNS Sofres

Décideurs. Quelles leçons tirez-vous des élections régionales ?

Brice Teinturier.
Ces élections confirment les résultats des élections municipales et européennes en les amplifiant. Les oppositions sont majoritaires et la droite parlementaire atteint un record historiquement bas. C’est un vote sanction qui traduit un véritable rejet. C’est d’autant plus le cas que l’on a assisté, en réalité, à une nationalisation des enjeux.

Le second fait marquant réside dans l’abstention massive de 53 % du corps électoral et dans la présence d’une abstention différentielle : c’est notamment l’électorat de la droite parlementaire qui ne s’est pas déplacé. Enfin, le Parti socialiste (PS) retrouve le leadership au sein de l’opposition. Si l’un des enseignements du scrutin régional est l’enracinement d’Europe Écologie dans le paysage politique, le PS demeure dominant.


Décideurs. Le taux d’abstention ne fausse-t-il pas l’analyse ?

B. T.
Pas s’il s’agit de relativiser le résultat obtenu par la droite parlementaire. Entre les élections régionales de 2004 et celles de 2010, le total des voix de gauche a certes diminué de 500 000. Mais ce chiffre a reculé de 3 500 000 pour la droite parlementaire – et de 1 500 000 pour le Front national (FN). Il s'agit donc d'un avertissement sérieux qui intervient alors que la majorité était dans une stratégie de relativisation depuis les élections municipales.


Décideurs. Qu’en est-il de l’évolution du vote par catégorie socioprofessionnelle à l’issue du scrutin régional ?

B. T.
Le taux d’abstention mesuré doit inciter à la prudence. Pour exemple, les ouvriers se sont fortement abstenus. Parmi ceux qui se sont exprimés, 34 % l’ont fait en faveur du PS, 18 % en faveur de la droite parlementaire et 22 % en faveur du FN. Cela pourrait traduire le fait que le PS reconquiert les catégories populaires et que le FN renoue également avec cette frange de la population. Quant aux cadres supérieurs, il est notable que la proportion ayant choisi la majorité est faible alors que le PS et Europe Écologie font jeu égal à un niveau élevé.
Enfin, alors qu’ils avaient massivement soutenu le candidat Nicolas Sarkozy en 2007, la droite parlementaire semble perdre le soutien des plus de 65 ans : 37 % d’entre eux se sont prononcés en sa faveur lors des élections régionales contre 27 % en faveur du PS et 14 % en faveur du FN. L’avance de l’UMP demeure, mais elle se fissure sur cette tranche d’âge.


Décideurs. Existe-t-il une possibilité de fronde des parlementaires à l’encontre de l’exécutif ?

B. T.
Je crois mineure la probabilité d’une fronde durable. Certaines des critiques qui étaient formulées tout bas le sont désormais tout haut. Cependant, la remise en question de Nicolas Sarkozy n’est pas très réaliste. À droite, il demeure le plus crédible et le mieux positionné pour 2012. Je crois plutôt qu’il s’agit d’une phase cathartique.


Décideurs. Vers quels horizons les électeurs qui avaient choisi François Bayrou au premier tour des présidentielles de 2007 se sont-ils tournés ?

B. T.
Environ la moitié d’entre eux se situe à gauche : 24 % ont voté aux régionales pour Europe Écologie, 20 % pour le PS, 26 % se prononcent en faveur du Modem et 16 % en faveur de l’UMP.


Décideurs. Quels obstacles le Parti socialiste doit-il surmonter s’il veut l’emporter en 2012 ?

B. T.
Il devra tout d’abord dépasser ses divisions internes afin de créer une dynamique d’union. Il s’agit du rôle que le PS veut faire jouer aux primaires. Ensuite, il devra se présenter avec un projet crédible. En 2012, il est probable que les attentes des électeurs reflètent une demande de crédibilité, d’équité et d’efficience davantage que de renouvellement – ce qui était le cas en 2007. Cela réclamera donc un projet adapté à la crise économique.


Décideurs. Pensez-vous que les élections à venir peuvent être marquées par un sentiment d’urgence nationale ?

B. T.
Les Français sont très inquiets. Plus de 70 % d’entre eux estiment que les choses vont aller en se détériorant quand ils pensent au pays. 2012 ne sera pas une année euphorique. Pour exemple, le taux de chômage n’aura, au mieux, que très peu diminué.


Décideurs. Perçoit-on d’ores-et-déjà les valeurs qui seront au centre des préoccupations des Français dans deux ans ?

B. T.
Il est certain que le sentiment d’iniquité est très puissant et que les attentes sont pour partie contradictoires. La société française est traversée par une demande de protection très forte, qui entre en tension avec le sentiment que le pays doit, dans la mondialisation, se moderniser. Et par une aspiration à plus de solidarité, alors que l’on assiste à une forte individualisation des comportements.

Mai 2010

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