La députée de la Moselle est favorable à un changement institutionnel.
Dégagée de toute fonction ministérielle depuis qu’elle a refusé de participer au gouvernement Valls II, Aurélie Filippetti mène une fronde plutôt discrète à l’endroit de l’exécutif en place. Loin des gaullistes adeptes de la Ve République ou des apôtres de la VIe, la députée de la Moselle penche en faveur d’un changement institutionnel plus léger, mais efficace.
D'une voix calme et posée, dans son bureau de l'Assemblée, elle s'explique.


Décideurs. Assiste-t-on à un essoufflement des institutions ?
Aurélie Filippetti.
C’est incontestable et c’est une des manières d’expliquer la défiance des citoyens vis-à-vis des politiques. Historiquement, la Ve République s’est construite selon un modèle vertical. Or, aujourd’hui, nos concitoyens ont besoin d’horizontalité dans la répartition des pouvoirs : plus de transparence et plus de responsabilité partagée. L’homme providentiel issu de 1958 ne peut plus tout régler. Nous devons approfondir notre démocratie.


Décideurs. C’est-à-dire ?
A. F.
La diarchie à la tête de l’exécutif est un élément qui crée de la confusion dans les pouvoirs et qui alourdit la machine administrative de l’État dans le fonctionnement gouvernemental.


Décideurs. Préconisez-vous, à l’instar de Claude Bartolone, une suppression du Premier ministre ?
A. F.
Le choix entre un régime présidentiel avec des contre-pouvoirs à renforcer et un régime primo-ministériel doit faire l’objet d’un débat entre les citoyens français. Je reste ouverte à ces deux propositions, même si je penche davantage en faveur de la seconde. Quoi qu’il en soit, il faut au préalable clarifier les choses.


Décideurs La fin du cumul des mandats contribuera-t-elle au retour de la confiance ?
A. F.
Je suis absolument favorable à la limitation stricte des mandats, à la fois dans le temps et de manière simultanée. Au bout de deux ou trois mandats successifs, l’élu perd de sa fraîcheur et de son inventivité. Par ailleurs, les allers-retours entre la vie professionnelle des citoyens et la vie publique d’un élu ou d’un ministre apparaissent très sains et très nourrissants pour l’exercice de la vie politique.


Décideurs. Comment expliquez-vous le paradoxe selon lequel les Français, critiques à l’endroit de la démocratie, sont en demande de plus d’exécutif ?
A. F.
Les citoyens français ne souhaitent pas un changement des institutions. Toutefois, leur défiance envers la politique des partis, telle qu’elle s’exerce actuellement, trouve son origine dans les institutions mêmes.
Quant à l’exécutif, je ne suis en rien pour l’affaiblir. Il ne s’agit pas non plus de le renforcer, mais au contraire de l’améliorer et de le clarifier, tout en rendant l’agenda parlementaire, qui est très encombré, beaucoup plus efficient. On parle beaucoup de l’inflation législative. Certes, mais quand le besoin et l’urgence se font sentir et coexistent, notamment comme en ce moment dans le domaine de la sécurité, c’est tout le Parlement qui a besoin de temps pour assurer les arbitrages nécessaires.


Décideurs. S’agissant du fonctionnement parlementaire justement, quelle est votre position sur le scrutin proportionnel ?
A. F.
J’ai longtemps été favorable à un système à l’allemande, mêlant une dose de proportionnelle. Aujourd’hui, je pense davantage qu’il faut faire preuve de prudence : les élus ont besoin d’être au contact des Français et de maintenir ce que j’appelle « des territoires d’élection », pour rendre des comptes. Ils ne doivent pas être déconnectés.
Le problème avec la proportionnelle, c’est qu’elle confère aux partis une véritable primauté, leur permettant ainsi de désigner qui sera élu. Et, outre ces élus de deux catégories, je rappelle que ce sont les partis mêmes qui sont les plus critiqués par les Français.
Le système tel qu’il existe n’est sans doute pas parfait, mais il présente le double avantage de renseigner les citoyens sur leurs députés et d’aider ces derniers à être toutes les semaines au contact des Français qu’ils ne verraient pas depuis le Palais-Bourbon.
Quant à la question de la représentativité de certains courants plus minoritaires, reconnaissons que le parti communiste a des élus à l’Assemblée, que les Verts ont également un groupe… De sorte que tous les élus se trouvent sur un pied d’égalité et entretiennent ce lien charnel avec le terrain. Pour les autres, ils sont présents au Parlement européen et s’expriment très régulièrement dans le débat public.
Alors, certes, on pourrait diminuer le nombre de députés et de sénateurs comme l’a fait Matteo Renzi en Italie [membre du parti démocrate et président du Conseil des ministres depuis le 22 février 2014]. Les Français répètent souvent que nous sommes trop nombreux, pourtant nos moyens humains sont bien plus faibles qu’aux États-Unis par exemple, si bien que sur certains sujets, le parlementaire se sent démuni.


Décideurs. Certains invoquent le référendum, voire le référendum révocatoire. Où vous situez-vous ?
A. F.
Je ne suis pas une apôtre du référendum. La tentation démagogique par un parti extrémiste est trop risquée. Je suis davantage favorable à des mécanismes de démocratie participative, comme les conférences citoyennes, les conseils de quartier, les comptes rendus de mandat, ainsi que les intercommunalités, dès lors qu’elles présentent des modes de scrutin transparents…
Je suis encore moins en faveur d’un référendum révocatoire, privant l’élu de toute liberté, car la France ne propose pas de mandat impératif. Je me positionne en revanche pour l’instauration d’une responsabilité du chef de l’exécutif durant l’exercice de son mandat.


Décideurs. La naissance de la VIe République est-elle imminente ?
A. F.
Il y aura une VIe République, c’est sûr, mais prendra-t-elle ce nom ? Il est certain que la réforme institutionnelle s’impose. Il n’y a qu’à voir les propositions qui circulent régulièrement : scrutin proportionnel, droit de vote des étrangers aux élections locales… Pour tout cela, il faut dépasser les blocages de majorité et aller vers une laïcisation, une désacralisation, du rapport au pouvoir. En France, le président vit au palais de l’Élysée, sous les ors de la République. En Allemagne, le rapport au Chancelier est plus simple.


Décideurs. Pourtant, François Hollande a imposé cette image de normalité au plus haut des institutions.
A. F.
Le Président normal était le pari de sa campagne. Mais il n’y a qu’à voir son domaine réservé – l’hyper-régalien, la Défense… –, pour constater qu’il n’a pas besoin de rendre des comptes. Tout le paradoxe vient du fait que c’est le Premier ministre qui est en première ligne.
Les Français sont mûrs pour cette laïcisation et cette responsabilisation du pouvoir. La démocratie en ressortira améliorée et renforcée.

Propos recueillis par Julien Beauhaire


Cet article fait partie du dossier Dix ans pour changer la France

Visuel : © Didier Plowy


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