Dans son livre « Les jeunes de banlieue mangent-ils les enfants ? » , le politologue s’appuie sur des enquêtes statistiques et une étude de terrain pour dresser un portrait pragmatique des « jeunes de banlieue ».

Face à la surmédiatisation d’une pensée passéiste, Thomas Guénolé pointe du doigt une réalité méconnue. Délinquance, islamisation, éducation, rap, il met à mal les clichés sur le « jeune de banlieue ». Une analyse scientifique qui va à l’encontre des arguments de la pensée conservatrice reprise par Alain Finkielkraut, le cas le plus grave de « balianophobie », selon Thomas Guénolé. Car face aux Le Pen et autres Zemmour clamant l’islamisation de la société française, il l’affirme : la croyance et la pratique musulmane sont en perte de vitesse dans les zones urbaines sensibles. Avec ce livre, l’essayiste offre un raisonnement alternatif concret et invite inévitablement à la réflexion.

 

  

Décideurs. Pourquoi avoir choisi de traiter le sujet des « jeunes de banlieue » ?

 

Thomas Guénolé. Mon étude part d’un sentiment de nausée en écoutant les commentaires de certains intellectuels suite aux violences survenues en marge des manifestations pro-palestiniennes en 2014. J’ai réagi par une première tribune, « Djihadiste français, islam des banlieues… Arrêtons le délire », parue dans Libération en juillet 2014. Puis une seconde, plus documentée : « Le "jeune de banlieue " mange-t-il les enfants ? » dont le succès m’a poussé à écrire ce livre.

 

Décideurs. Face aux penseurs « conservateurs » que vous évoquez, vous inscrivez-vous volontairement dans un courant de pensée alternatif ?

 

T. G. Complètement ! Ce livre n’entre dans aucun plan de carrière, mais vient rectifier la vérité face aux propos erronés des conservateurs très médiatisés comme Alain Finkielkraut. J’ai souhaité apporter des éléments au débat public pour faire bouger les lignes dans l’intérêt d’une catégorie de la population qui se fait piétiner. J’ai le sentiment qu’une grande partie de mes observations ont été entendues, même si le message de la « désislamisation » est encore difficile à faire passer. 

 

Décideurs. Vous démontrez ce phénomène de « désislamisation » en vous appuyant sur une enquête Ifop réalisée de 1989 à 2011 (1). Cette source est-elle toujours d’actualité ?

 

T. G. Mon constat est simple : la croyance et la pratique religieuse chez les Français de confession musulmane s’effondrent d’une génération à l’autre. Les enquêtes décennales sont la norme de la science démographique pour mesurer ce type de phénomène évolutif. N’importe quel démographe pourrait d’ailleurs confirmer que cette enquête est aujourd’hui un bon matériel d’étude.

 

Décideurs. Certaines enquêtes, comme celle de Gilles Kepel en 2011 (2), font pourtant état d’une forte islamisation des banlieues…

 

T. G. L’enquête de Gilles Kepel est qualitative. Elle s’intéresse à un échantillon d’une population sans savoir s’il est représentatif. Mon étude sur les jeunes de banlieue est quantitative et vise à étudier les proportions du phénomène que j’observe dans la société. L’effondrement de la croyance et de la pratique est évident. Mais ce n’est pas incompatible avec l’existence d’un phénomène de radicalisation minoritaire pointé du doigt par le travail de Gilles Kepel.

 

Décideurs. Ce livre a-t-il vocation à intégrer un programme politique ?

 

T. G. Il  vise à tirer le signal d’alarme. Et chaque personnalité politique est libre de s’en servir. C’est d’ailleurs ce que fait Claude Bartolone lorsqu’il défend les jeunes de banlieue dans le cadre de sa campagne pour les régionales. Les politiques ont bien sûr un rôle à jouer pour combattre cet « apartheid », mais ils ne sont pas les seuls.

 

                   

                                                              Les chiffres 

50 % des jeunes de banlieue sont d’origine étrangère.

98 % des jeunes de banlieue ne sont ni délinquants ni dans des bandes.

4 % des lieux de culte musulmans sont infiltrés par l’intégrisme.

20 % des jeunes de banlieue d’origine étrangère récente âgés de 18-24 ans sont des musulmans pratiquants.

85 % des musulmanes de moins de   35 ans ne portent jamais le voile.

 

 

Les Jeunes de banlieue mangent-ils les enfants ?, de Thomas Guénolé, éd. Les Bords de l’eau, 214 p., 17€

 

 

Propos receuillis par Capucine Coquand 

@CapucineCoquand


 

 

(1) Ifop, Analyse (1989-2011) : Enquête sur l’implantation et l’évolution de l’Islam de France, juillet 2011

(2)  Enquête, Les banlieues de la République, Gilles Kepel publiée par l’Institut Montaigne, octobre 2011.

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