Entretien avec Denis Bertrand, notamment président de l’Association française de sémiotique, qui bien que « non-spécialiste » du discours de Daech y dévoile bien des phénomènes pertinents.

Décideurs. Comment comprendre l’impact de la rhétorique de Daech ?

Denis Bertrand. Je tiens d’abord à préciser que je ne suis pas un spécialiste à proprement parler  de ce sujet*. Cependant, cela m’interpelle, comme tout le monde. Nous pouvons ainsi relever quelques éléments, tout d’abord du côté des récepteurs. Cette adhésion touche des jeunes Français, de toutes origines ou catégories sociales, et plutôt ceux de la deuxième ou troisième génération pour les enfants d’immigrés. On peut rapprocher ce phénomène de celui de la post-mémoire [terme que l’universitaire américaine Marianne Hirsch a utilisé pour la première fois pour désigner l’expérience des personnes ayant grandi entourées de récits de survivants de la Deuxième Guerre mondiale. Ce qu’ils en font peut être très variable, de l’art à la haine en passant par la simple intériorisation]. Je dirais que c’est ici une lecture hystérisée d’une histoire que ces personnes n’ont pas vécue : leurs origines, l’époque coloniale, l’immigration… Ils en viennent à la haine de la France au nom d’une origine perdue et ils tombent dans le simulacre de cette origine, d’autant qu’ils se sentent marginalisés par rapport à leurs propres compatriotes.

 

Décideurs. Et quant aux mots utilisés ?

D. B. « Mécréants », « terreur », « croisés »… on peut relever que beaucoup de ces termes sont anciens, ce sont de vieux mots et des mots de guerre. Sans juger de leur redoutable efficacité, on a ainsi une expression archaïsante accolée aux supports les plus modernes. Leur caractère manichéen, le bien/le mal, etc., est aussi frappant avec une schématisation sémantique. Ils sont porteurs de la mémoire d’une hostilité séculaire. Ce sont des insultes de guerriers, on entend pratiquement la Chanson de Roland, des chansons de geste ! Comme une mainmise sur un imaginaire. Mais ce sont des discours violents et caricaturaux, stéréotypés, au vocabulaire volontairement réduit. Et, paradoxalement par rapport aux références précitées, il n’y a aucune volonté pérenne hors mobilisation ou revendication dans ces vidéos. On nous traite ainsi de « mécréants » : so what ?!

 

*Nous tenons à remercier Denis Bertrand qui nous a tout de même orientés vers Michael Rinn.

 

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