Jean-Christophe Lagarde (UDI) : «La droite ne gagne plus d’élections sans nous»
Le patron de l’UDI ne joue pas dans la cour de ceux qui cherchent à convaincre à coup d’esbroufe. Incollable sur les questions d’histoire de la politique française, le député-maire de Drancy a pris la tête de l’Union des démocrates indépendants (UDI) il y a deux ans. Si l’ancien porte-parole de François Bayrou assume sa proximité avec Les Républicains, il revendique son indépendance. La sienne et celle des militants, « les seuls qui comptent ». Aujourd’hui, l’UDI de Jean-Christophe Lagarde trace sa route. Avec 29 députés, 44 sénateurs et 422 conseillers départementaux le parti bénéficie d’un ancrage local incontestable. Son chef de file, lui, attend sereinement le choix des militants pour savoir si l’UDI fera ou non cavalier seul pour la présidentielle. Quoi qu’il en soit, le centre pourrait bien profiter des contre-performances à droite comme à gauche pour tirer son épingle du jeu en 2017.
Décideurs. Quel sera l’objectif du congrès organisé par l’UDI le 20 mars prochain ?
Jean-Christophe Lagarde. Les adhérents vont choisir la façon dont ils souhaitent que nous portions notre projet devant les Français. Est-ce par une candidature à la présidentielle ? Par une candidature à la primaire lancée par Les Républicains ? Ou encore par le soutien à un candidat? Le débat est lancé dans les fédérations de l’UDI. Les adhérents pourront voter électroniquement entre le 15 et le 19 mars, et le résultat sera connu à l’occasion du congrès le 20 mars. Le choix doit être collectif.
Décideurs. La participation d’un candidat de l’UDI à la primaire LR est donc envisageable…
J.- C. L. La primaire n’est qu’une modalité. La question n’est pas de savoir qui va gagner, mais quelles sont les idées qui vont gagner. Ce qui m’intéresse, c’est de construire ensemble une majorité en évitant les échecs du passé. La droite est pour l’instant bloquée dans la grille de lecture absurde qu’elle a connue de 2002 à 2012, où un seul parti détient la majorité absolue et fait ce qu’il veut. Pour travailler ensemble, nous devons être d’accord sur des objectifs communs, et mettre en place un pacte de gouvernance. J’ai écrit à Nicolas Sarkozy sur ce point. Les Républicains doivent apporter des réponses pour que les militants se prononcent en connaissance de cause. Ils seront informés de l’issue de ces discussions, y compris si aucun accord n’est trouvé entre nous.
Décideurs. À propos d’une alliance possible avec la droite, quelles leçons tirez-vous des régionales de décembre dernier ?
J.- C. L. Outre la mobilisation importante en faveur de l’extrême droite, je retiens l’abstention massive. Une grande partie des citoyens refusent de faire confiance à ceux qui nous gouvernent depuis 35 ans. Ce qui signifie que l’opposition n’est pour l’instant pas suffisamment crédible. Et si les électeurs se sont davantage mobilisés au second tour, c’est uniquement pour contrer l’avancée du Front national. Quoi qu’il en soit, nous avions trois têtes de liste en situation de l’emporter et nous avons multiplié par 2,5 le nombre de nos conseillers régionaux. Aucune victoire des listes LR n’aurait par ailleurs pu se faire sans nous. La droite ne peut plus ni gouverner ni gagner d’élection sans nous.
Décideurs. On vous a pourtant très peu entendu lors des débats à l’issue du premier comme du second tour…
J.- C. L. Parce que les médias ne savent pas couvrir les élections locales. Lorsque l’on parle des enjeux régionaux et que les débats portent sur la politique du gouvernement, ils sont totalement à côté de la plaque. Les citoyens finissent par voter au niveau local, en fonction de ce qui se passe au niveau national, c’est infantilisant. Pour davantage de débats locaux il faut organiser des élections régionales, départementales et municipales le même jour dans une région, mais une seule région à la fois.
Décideurs. Une union des centres (Modem et UDI), vous permettrait-elle d’avoir plus de poids ?
J- C. L. Sur le fond, elle est souhaitable. Mais tant que François Bayrou laissera traîner l’hypothèse de sa candidature à la présidentielle, le rassemblement me paraît difficile. À l’UDI, ses choix ont déçu et nombreux sont les inquiets quant à l’idée de travailler avec lui à nouveau aujourd’hui.
Décideurs. C’était l’anniversaire de Valéry Giscard d’Estaing au début du mois de février. Représente-t-il l’âge d’or du centre ?
J.- C. L. Ce n’est pas l’âge d’or du centre, mais sa création. Avant lui, il était dispersé, voire inexistant et soumis aux aléas de la droite. Giscard a notamment su répondre à la volonté des Français, après 1968, de sortir du modèle figé, guindé de société dont ils étaient en train de s’affranchir. On lui doit plusieurs grands chantiers de modernisation de la société française (notamment le droit des femmes), et du projet européen. En quittant la présidence, il laisse un pays avec un million de chômeurs mais la France n’est pas endettée, malgré les chocs pétroliers de 1973 et 1978. Lorsqu’on regarde ce qui s’est passé ensuite, je pense que les sifflets lancés par la gauche à sa sortie de l’Élysée étaient bien immérités. La situation n’a d’ailleurs fait qu’empirer malgré 8 alternances.
Décideurs. Est-il un exemple de réussite pour le centriste que vous êtes ?
J.- C. L. Je n’ai pas de modèle en politique. La filiation entre nos deux familles politiques est en revanche évidente. L’UDI s’est construite de la même façon que l’UDF, en proposant un chemin différent à celui de la droite, tout en étant allié à elle.
Décideurs. Vous dites vouloir proposer un nouveau modèle sociétal aux Français. Pouvez-vous nous l'expliquer ?
J- C. L. Je pense que notre modèle économique et social est périmé. Il a été mis en place pour une France d’après la guerre, fermée sur elle-même, où l’État était omniprésent dans l’économie, et dans lequel c’est lui le grand investisseur national. Or aujourd’hui, le capital de l’essentiel des secteurs stratégiques de l’économie française est largement ouvert sur l’Europe et sur le monde. Nous n’avons pourtant pas changé de cadre économique, social, fiscal, ni même de cadre éducatif. Ça ne peut pas marcher. Ce n’est pas simplement en corrigeant le modèle existant qu’on s’en sortira. Nous avons fait semblant de nous adapter en empilant des modifications marginales sans résultat. Ce ne sont pas les exemples qui manquent : nous nous flattons d’avoir le meilleur modèle social au monde, or nous sommes parmi ceux qui avons le plus de chômeurs, nous dépensons plus d’argent que nos voisins pour la santé sans avoir une espérance de vie plus longue, nous faisons du budget de l’Éducation nationale le premier budget et pour autant il génère chaque année 150 000 jeunes laissés sur le bord de la route sans aucune formation. La société française, c’est Hibernatus. J’ai l’impression que nous l’avons congelée et elle se réveille dans la mondialisation. Le choc est inévitable.
Décideurs. Par quoi faudrait-il commencer ?
J- C. L. Nous devons avant tout dire aux Français que notre système est vicié. Expliquer qu’on ne peut pas vivre plus longtemps et travailler moins longtemps, dans la vie comme dans la semaine, sinon on le fait à crédit et ce sont nos enfants qui devront payer les loisirs que nous nous accordons. Je combats et je dénonce la schizophrénie française. Nous sommes à titre individuel motivés pour faire en sorte que nos enfants puissent vivre mieux que nous, mais nos choix politiques se font pour notre confort d’aujourd’hui, au détriment de nos enfants. C’est la responsabilité du politique de le dire, et celle du citoyen de choisir et d’assumer. Dans une démocratie, nous n’avons que les élus que nous méritons.
Décideurs. Sur les questions sécuritaires, comprenez-vous l’inquiétude généralisée du monde du droit face à certaines mesures, comme la prolongation de l’état d’urgence ?
J.- C. L. Non. Je comprendrais l’inquiétude si l’état d’urgence devenait permanent. Nous avons besoin d’adapter notre droit aux nouvelles menaces auxquelles nous faisons face. Nous n’avons pas eu le temps de le faire entre le 13 novembre et le 13 février. L’État doit se donner les moyens de nous protéger d’ici à la fin de la session parlementaire en juin prochain. Concernant certains abus dénoncés notamment par les professionnels du droit, je les dénonce aussi. Pour les perquisitions, la police n’est jamais obligée de saccager des lieux privés, état d’urgence ou pas. Sur 3 000 perquisitions, il y a eu des erreurs et c’est regrettable. Mais ne pas être en mesure de trouver les informations nécessaires pour anticiper certains attentats seraient, à mon sens, un inconvénient bien plus grand. Deux garde-fous de sécurité sont là pour prévenir des abus : le Parlement et le juge administratif, garant des droits individuels et tout aussi capable de juger au nom de la République que le juge judiciaire.
Propos recueillis par Capucine Coquand.