Invité à livrer son diagnostic sur l’état de la France et à évoquer ses perspectives d’avenir, le philosophe et ancien ministre de l’Éducation nationale Luc Ferry a parlé révolution industrielle et innovation destructrice. Éclairant.

Une révolution mondiale est en marche et, pour l’heure, la France n’en fait pas partie. Tel est, en substance, le constat – brutal - que Luc Ferry, présent à l’université d’été du Medef, a livré sur l’état du pays et sur sa situation actuelle dans un monde en pleine mutation.  

Pour lui, deux impératifs s’imposent : relancer l’investissement innovant  - « vital en termes d’économie mais également de civilisation, pour permettre aux entreprises d’investir au bénéfice de tous et pas uniquement de leurs dirigeants » - et réinventer l’Union européenne.  Deux urgences destinées à nous permettre de faire face à une même réalité : la troisième révolution industrielle dans laquelle le monde est entré et dont, selon lui, nous n’avons pas encore pris la mesure. « Ce que nous vivons est un bouleversement majeur qui va changer nos vies, assène Luc Ferry. Et pour l’heure, cette révolution est américaine – pilotée par les Gafa -, chinoise, voire israélienne ; Mais elle n’est pas européenne.» D’autant plus inquiétant que, pour le philosophe « tout dépend, désormais, de notre capacité à prendre une place dans cette révolution industrielle mondiale. » Autrement dit, à combler notre retard en la matière car, pour l’heure, résume-t-il  « la France n’y est pas ».

 

« L’innovation de rupture permet de tirer la croissance par la tentation »

Le ressort de l’innovation destructrice

Le constat est sévère. Le diagnostic, sans appel. Pour y remédier et réinscrire l’économie française  dans une dynamique de conquête et de croissance, une seule option : relancer l’innovation, ce moteur décisif sans lequel, insiste Luc Ferry, aucune relance durable n’est envisageable. « Passé un certain seuil de développement, ce qui tire la croissance d’un pays, c’est l’innovation », explique-t-il.  Et, avec elle, la logique de renouvellement perpétuel qui, dans une société de consommation comme la nôtre,  consiste « à remplacer l’ancien par le nouveau » en rendant le premier progressivement inutilisable et le second toujours plus désirable.  « En créant de nouveaux besoins, l’innovation de rupture permet de tirer la croissance par la tentation », affirme Luc Ferry pour qui « toute l’histoire du XX? siècle repose sur ce principe de destruction de l’ancien ». Dans le secteur de la consommation comme dans celui des traditions sociales.

 

L’urgence d’une troisième révolution

Un levier de création de valeur à réactiver d’urgence à l’heure où, rappelle-t-il, une nouvelle révolution industrielle bouscule les schémas existants avec d’autant plus de force qu’elle diffère des précédentes. « La troisième révolution industrielle que nous vivons aujourd’hui n’obéit pas à la même logique que celles du passé : avant de reposer sur une révolution de la matière elle s’appuie sur une révolution de l’intelligence (avec, en toile de fond, le web qui crée un nouveau langage commun) ». D’où l’émergence d’innovations qui vont « tout changer » : les nanotechnologies, les biotechnologies, l’Internet des objets, la robotique, les imprimantes 3D… De quoi créer un nombre incalculable d’opportunités de développement dans l’ensemble des domaines économiques ? mais également accentuer certaines fractures. Raison pour laquelle Luc Ferry y voit une étape « fascinante mais aussi tragique et bouleversante » de notre développement. Fascinante parce que les nouveaux ressorts de création de valeur – tels que ceux activés par l’économie collaborative – se multiplient, tragique parce que chacune de ces évolutions, en détruisant un modèle et des emplois, devient facteur de précarité. D’où le conflit qui, selon lui, « oppose deux légitimités : celle des hôteliers et celle d’Airbnb, par exemple ». « Nos politiques doivent comprendre cette tension et en mesurer la portée, c’est impératif » conclut le philosophe pour qui la question fondamentale soulevée par cette révolution demeure : « La France va-t-elle y trouver sa place ou va-t-elle laisser les États-Unis maîtriser ces différentes innovations et, de fait, devenir les maîtres du monde ? » Au prochain gouvernement d’y répondre.

 

Caroline Castets

@CaroCastets1 

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