Olivier Roy : « D’un point de vue politique, l’islam a toujours été d’une totale souplesse »
DÉCIDEURS. Que pensez-vous du débat sur l’islam et la République??
Olivier Roy. Il y a une polémique, pas un débat. Et elle est très mal engagée. Déjà, est-ce qu’on parle des musulmans ou de l’islam?? Les gens, à commencer par les politiques, assimilent islam avec population d’origine musulmane et immigration. Comme si, par définition, toute personne d’origine musulmane avait un logiciel coranique dans la tête et se comportait comme un musulman. C’est sociologiquement absurde, mais dans un pays laïc séculier comme le nôtre, on va systématiquement islamiser leurs comportements. On devrait plutôt faire la comparaison avec les ghettos noirs américains. Rien d’islamique, c’est un problème d’intégration. Cela doit être traité sociologiquement.
Maintenant, l’islam comme religion. C’est un faux problème. La question n’est pas de savoir si l’islam est «?compatible avec?», mais «?comment?» les croyants vivent leur islam dans le contexte d’une république laïque. Ce n’est pas une question ontologique. Chaque livre sacré offre un répertoire mais aucun une constitution. Il n’y a rien dans le Coran sur un système politique, sur l’État. Le problème central des religions du Livre, c’est le salut.
Pourtant, on dit souvent que l’islam ou le Coran «?s’implique?» en politique…
C’est une interprétation. D’un point de vue politique, l’islam a toujours été d’une totale souplesse, le souverain étant celui qui a le pouvoir, point. Il n’y a pas de juste souverain, sauf dans la définition médiévale de celui qui applique la justice, ce qui correspond exactement au sens catholique de «?bon prince?».
Alors est-ce que le nouveau mot d’ordre de Nathalie Kosciusko-Morizet visant à interdire les salafistes par exemple a un quelconque sens??
C’est comme si on voulait interdire une théologie, c’est absurde?! C’est une vieille tradition gallicane autoritaire française. Ce que nous appelons laïcité sous-entend que le religieux relève de l’État. C’est Louis XIV interdisant le protestantisme.
On est dans la surenchère au niveau politique en ce moment…
On s’attaque à l’islam pour deux raisons?: le préjugé théologique plaqué sur tout musulman, qui sous-entend que ce n’est pas une «?religion comme les autres?». Deuxièmement, en France, l’hostilité à l’islam conjugue racisme de droite et laïcité de gauche.
En France, l’hostilité à l’islam conjugue racisme de droite et laïcité de gauche
Que penser de la Fondation de l’islam de France et de la nomination de Jean-Pierre Chevènement à sa tête??
Pourquoi pas sur la question du financement… Mais Chevènement est un personnage très ambigu sur cette question-là. Ses modèles sont Hafez el-Hassad, Saddam Hussein, le maréchal Sissi… ça pose quand même un problème dans son rapport du droit à la démocratie pour les Arabes. Il considère qu’il leur faut un bon dictateur laïc. Qu’on le nomme à la tête d’une telle institution manque donc un peu de cohérence?! Et c’est un souverainiste, l’exemple même du gallicanisme. On n’est plus dans la laïcité.
Une personne d’origine musulmane aurait été un choix plus judicieux??
Ce n’est pas une question de profil mais de personne. Tant qu’à s’en mêler, l’État – qui par ailleurs ne demande qu’une chose, c’est d’intervenir dans l’organisation religieuse?! –, aurait pu nommer un haut fonctionnaire, d’origine musulmane pour éviter toute notion paternaliste. Il a manqué de finesse. Encore une fois, on croit qu’il faut une réforme religieuse et que celle-ci doit être menée de manière autoritaire.
Propos recueillis par Quentin Lepoutre