Le Président devait-il partir comme ça ?
Il l’a fait. Visiblement abattu certes, mais certainement « motivé » de cette fois marquer l’histoire par une décision inédite dans la Ve République : ne pas concourir à sa propre succession au poste de Président pour un second mandat. Après l’éviction de Nicolas Sarkozy et d’Alain Juppé de la course à la présidentielle de 2017, la non-candidature de François Hollande scelle dans le même temps un tournant dans la vie politique française. Les commentaires de la classe politique eux n’ont pas surpris mais méritent le détour pour la suite d’un jeu dont s’est désormais extrait François Hollande.
À droite, si certains louent cette décision, c’est pour mieux s’empresser d’ajouter que face à son bilan « calamiteux » et à des sondages tout aussi catastrophiques, il n’avait pas le choix. François Fillon assène ainsi dès hier soir que le « président de la République admet, avec lucidité, que son échec patent lui interdit d'aller plus loin ». « Lucide », « échec », « calamiteux », voilà bien les éléments de langage indissociables de la droite énoncés par son nouveau leader. Plus perspicace que tout le monde, Éric Ciotti, qui avait lâché François Fillon pour Nicolas Sarkozy, parle même d’« une évidence », appuyant avec sa mesure habituelle sur « la conséquence logique d'un quinquennat qui aura été marqué par l'échec permanent », pour un « chef de l'État [qui] fait un choix contraint ».
Les ambitions hachées menu
Quant aux fidèles soutiens de François Fillon, et nouveaux lieutenants en chef de sa campagne, ils dégomment tout de suite les prétendants au titre de candidat du PS. Bernard Accoyer, tout juste nommé secrétaire général des Républicains, décèle déjà que « seules les ambitions personnelles de candidats de remplacement s'exprimeront dans les prochains mois ». Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, éradique dans la foulée toute volonté de s’extraire du bilan : « Sans attendre le jugement des Français, François Hollande tire lui-même la leçon de son échec. Mais cet échec n'est pas seulement l'échec d'un homme, c'est l'échec de la gauche. L'ensemble des responsables socialistes qui ont gouverné avec François Hollande sont coresponsables de ce désastre, et devront donc assumer leur part de responsabilité. » Enfin, Nathalie Kosciuzko-Morizet enfonce le clou en qualifiant cette décision de « plus lucide du quinquennat ». C’est la pique que l’on retrouve à l’extrême droite, où l’on ironise sur « la première bonne décision du quinquennat », et Florian Philippot d’ajouter que celle-ci est « heureuse (...) pour la France ».
Jeu politique
À gauche, on oscille entre (légers) regrets, soulagement à peine voilé, flagornerie gouvernementale de circonstance et charges des concurrents à la primaire. Le Premier ministre Manuel Valls, que l’on savait dans les starting-blocks après deux semaines d’attaques savamment orchestrées pour contrer toute velléité d’un Président diminué, voit enfin la porte de la primaire s’ouvrir [Manuel Valls a depuis effectivement démissionné et annoncé sa candidature]. Et l’on peut passer aux compliments qui accompagnent l’enterrement de son adversaire : « Un choix difficile, mûri, grave », celui « d'un homme d'État ». Bruno Le Roux, Christiane Taubira et Emmanuel Macron sont sur la même ligne, mais ce dernier, visiblement plus surpris, contourne : « Quand on a passé sa vie dans le combat politique, prendre la décision qu'il a prise aujourd'hui n'est pas neutre, quelle que soit son impopularité actuelle. » Le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis twitte de son côté que « le président de la République, avec élégance, hauteur de vue, sens de la France et non sans émotion, a décidé de protéger son bon bilan ». On ne voit pas bien le sens protecteur de cet abandon en rase campagne mais un certain soulagement pointe derrière l’hommage. Tout à sa campagne, Arnaud Montebourg salue « une décision de sagesse lucide hautement respectable », qui « permet à la gauche de se tourner vers le futur ». Enfin, le premier des contestataires à gauche, Jean-Luc Mélenchon, embraye sur « un énorme aveu d'échec » qui n’est pas sans rappeler la condamnation de l’opposition… à droite.
Estrosi résume
Mais le commentaire le plus surprenant comme le plus juste, tout en retenue, vint de Christian Estrosi : « En adversaire résolu mais respectueux de sa fonction, je veux saluer la dignité du geste. Il est rare dans une vie politique de privilégier l'intérêt général du pays plutôt que son ego et ses sentiments personnels. Si cette décision ne manque pas de courage, elle ne manque pas non plus de lucidité. Comme de nombreux Français, après avoir regardé son bilan en conscience, le président de la République a estimé qu'il n'était pas envisageable de se succéder à lui-même. Nous allons donc changer de Président. C'est désormais également de politique qu'il faut changer. » Car politiques et commentateurs ont beau entériner avec l’aplomb habituel la décision du président de la République de ne pas se représenter pour un second mandat comme une évidence, rien ne l’était moins : ego, tour d’ivoire élyséenne, cour vivant aux dépens de celui qui l’écoute… peu ont su s’arrêter de leur propre chef. Sauf à parier, comme le faisait il y a déjà quelques mois le politologue Thomas Guénolé, que François Hollande n’irait pas, pour la même raison qu’il avait quitté un PS en délabrement : sûr de sa défaite.