Un an après son élection à la présidence du tribunal de commerce de Paris, nous avons rencontré le successeur de Franck Gentin. L’occasion pour nous d’échanger sur l’actualité du tribunal et du monde du restructuring.

Décideurs. Quel bilan pouvez-vous dresser de l’activité de votre tribunal en matière de procédures collectives en 2016 ?

Jean Messinesi. En ce qui concerne les procédures collectives, il y a eu un très léger tassement (-1%) du nombre de liquidations judiciaires pendant les neuf premiers mois de 2016 par rapport à la même période de 2015. Nous avons également connu un réel déclin des procédures de sauvegarde mais pendant le même temps, les ouvertures de redressements judiciaires ont augmenté de près de 10%. Ces tendances contradictoires reflètent aussi l’augmentation du processus de prévention et du traitement amiable des difficultés des entreprises. Cela est particulièrement vrai dans les situations où les entreprises pourraient solliciter une sauvegarde mais préfèrent tenter de résoudre leurs difficultés à travers une procédure de conciliation.

Cependant, il est difficile d’affirmer que globalement l’économie va mieux, il faudrait avoir plus de recul pour identifier une véritable tendance.

Quant à la typologie des entreprises en difficulté, on note que les TPE, généralement sans salarié, sont les plus touchées, ce sont elles qui constituent une part importante des liquidations judiciaires. On remarque souvent que ces entreprises, sous-capitalisées, sont très vulnérables à une baisse même relative de l’activité économique. Leurs dirigeants sont aussi souvent mal préparés pour faire face à la perte d’un client important ou aux conséquences de l’arrivée d’un nouveau concurrent. La situation sécuritaire dans notre pays a également eu un impact sur l’activité du secteur hôtellerie/restauration qui a souffert de la baisse des arrivées de touristes.

D’une manière générale, le commerce de proximité, en particulier au centre de Paris a été impacté par les conséquences des craintes sécuritaires. Mais peut-être assiste-t-on aussi, dans le secteur de l’habillement à une tendance plus profonde du transfert vers le commerce en ligne des achats traditionnels en boutique.

Il ne faut pas confondre professionnalisation et spécialisation

 

Que pensez-vous de la professionnalisation de la juridiction consulaire, notamment avec la création de tribunaux de commerce spécialisés ?

Il ne faut pas confondre professionnalisation et spécialisation. La création de tribunaux spécialisés a sans doute pour objectif de confier à des tribunaux de commerce de taille respectable des dossiers importants. On peut imaginer que ces tribunaux spécialisés sont constitués de juges formés et compétents. Pour ma part, je m’en tiendrais au tribunal de commerce de Paris. Composés de 172 juges qui reçoivent une double formation : interne dès leur élection en qualité de juge et externe grâce au programme de l’ENM. Par ailleurs, et c’est là un des privilèges de Paris, nous avons de nombreuses occasions d’échanges, institutionnalisés ou non, avec les magistrats de la cour d’appel et même parfois de la Cour de cassation, avec des professeurs d’université, le barreau et les professions du chiffre. Tout cela contribue à faire en sorte que les juges du tribunal de commerce de Paris, sont à mon avis d’excellents juristes tout en étant de praticiens de l’économie. Ceci est, je crois, reflété dans le très faible taux d’infirmation de nos jugements.

 

Les juges du tribunal de commerce sont issus du monde de l’entreprise. Ne peut-il pas avoir de conflit d’intérêts dans le cadre de procédures judiciaires de traitement des difficultés ?

Les conflits d’intérêt  ne sont certainement pas limités au cadre des procédures collectives. Il peut y avoir conflit d’intérêt également en matière de contentieux. Mais ces conflits d’intérêts, ou simplement l’apparence d’un conflit possible, sont plus rares qu’on ne l’imagine et, bien sûr, les juges qui pourraient être concernés par des cas de ce type se déportent. Ils demandent eux même à être tenus à l’écart de tels dossiers. Etre soupçonné d’être exposé à un conflit d’intérêt serait tout simplement suicidaire pour un juge.

Le tribunal n’est pas l’antichambre de la déchéance d'un entrepreneur

 

Quels sont les critères que vous retenez pour désigner les administrateurs et les mandataires judiciaires ?

Nous sommes attentifs à la capacité des administrateurs ou des mandataires à avoir une valeur ajoutée optimale dans les dossiers dans lesquels ils sont nommés. Il n’y a pas de petits dossiers. Tous sont importants et chaque mandataire ou administrateur judiciaires a ses talents propres et nous faisons en sorte que tous soient nommés à leur tour dans les dossiers que le tribunal ouvre. Bien entendu nous sommes sensibles à la taille des études, leur capacités à traiter des dossiers lourds, avec de nombreux salariés, aves des implantations diverses, avec des créanciers différents, avec des problématiques financières complexes.

 

Quelle est la place de la prévention dans l’activité du tribunal de commerce ?

La prévention proprement dite, c’est l’exercice d’alerte qui consiste à convoquer de manière tout à fait confidentielle le dirigeant d’une entreprise qui donne des signes de difficultés (fonds propres négatifs, inscription de privilèges, etc…). Le tribunal consacre beaucoup de temps et d’effort à la prévention : nous avons réalisé 1465 entretiens de prévention en 2016 contre 1119 en 2015. Nous avons pu constater que les dirigeants sont dans leur grande majorité sensibles au discours que nous leur tenons ; que le tribunal n’est pas l’antichambre de leur déchéance et que les procédures amiables telles que le mandat ad hoc, la conciliation ou la médiation peuvent leur permettre de faire face avec plus de sérénité. Le tribunal de commerce de Paris participe également au Centre d’Information et de Prévention (CIP) animé par des experts comptables, des avocats, des juges et des psychologues. Ce Centre permet d’accompagner le dirigeant qui, trop sollicité par les demandes immédiates a parfois du mal à inscrire son action dans une stratégie à plus long terme. Le tribunal a à cœur de favoriser la prévention et continuera d’y consacrer une part importante  de ses ressources humaines.

Je réfléchis à ce que devrait être la justice économique en France dans un contexte de mondialisation croissante

 

Quels sont vos objectifs pour les prochaines années ?

Je réfléchis à ce que devrait être la justice économique en France dans un contexte de mondialisation croissante. Quel rôle devrait jouer le tribunal de commerce de Paris pour promouvoir la place de Paris en tant que place de droit, c’est-à-dire le lieu que choisissent les entreprises nationales et internationales pour résoudre leurs conflits. Ce rôle, Paris devrait pouvoir le jouer à condition que le secteur public lui-même reconnaisse la qualité des juges, des avocats, des auxiliaires de justice qui participent à Paris à l’exercice de la justice économique. Il faut aussi qu’à l’instar des autres places avec lesquelles nous sommes en concurrence nous sachions donner l’image d’une justice moderne maîtrisant tous les instruments d’une communication efficace. 

 

Propos recueillis par Tatiana Dvoretskaya

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail