Rupture à l’anglaise
Ceux qui croyaient encore en l’éventualité d’une séparation à l’amiable en ont été pour leurs frais. Le discours de Theresa May, prononcé le 17 janvier dernier à Lancaster House, n’a laissé aucune place au doute quant à la façon dont la Première Ministre entendait mettre en œuvre le Brexit. Ce sera à la dure. Sans demi-mesure ni petits arrangements entre amis. « Je ne veux pas d’un statut de membre partiel ou associé de l’UE qui nous laisserait moitié dedans, moitié dehors », a-t-elle asséné. De quoi mettre fin à plusieurs mois de suspense et, surtout, à plus de quarante ans d’ambiguïté. Celle qu’entretenait la Grande-Bretagne avec l’Europe depuis qu’elle y était entrée, indique Philippe Moreau-Defarges*, chercheur à l’Ifri et spécialiste du Royaume-Uni.
Une séparation « claire et nette »
« Depuis leur entrée, en 1973, les Britanniques ont toujours cultivé une position « entre-deux » avec l’Union européenne, rappelle-t-il ; refusant l’euro, discutant tout… comme si, depuis le début, ils voulaient la quitter. » C’est chose faite désormais et cette fois, l’heure n’est plus aux atermoiements. La séparation se veut « claire et nette ». Tout comme les ambitions de la nouvelle Dame de fer britannique dont l’objectif est triple : sortir du Marché unique, le remplacer par un accord de libre-échange global et un accord douanier avec l’Europe, et reprendre la main sur l’immigration, conformément aux attentes formulées par les Britanniques qui, en juin dernier, en avaient fait la première motivation pour sortir de l’Union. « Le message du peuple a été très clair, a-t-elle insisté, le Brexit doit permettre de contrôler le nombre d’Européens qui entrent au Royaume-Uni. » Quitte, pour cela, à pénaliser son économie, estime Philippe Moreau-Defarges pour qui une posture qui a toutes les chances de « braquer les Européens » a peu de chance de profiter aux Britanniques…
L’enjeu complexe de l’immigration
« Si Theresa May veut un divorce complet, la Grande-Bretagne y perdra nécessairement », juge-t-il, convaincu que la réaction de Bruxelles sera « extrêmement négative ». En jeu : le statut privilégié dont jouissaient jusqu’à maintenant les banques londoniennes, les profits « considérables » que la City tirait des opérations sur l’euro, mais aussi la contribution réelle d’une immigration qualifiée au PIB britannique.
« L’immigration, qui est au cœur des enjeux, est une réalité complexe. Appliquer une politique brutale dans ce domaine serait nécessairement contre-productif », pointe Philippe Moreau-Defarges qui rappelle que, outre le fait que près de 400 000 Français vivent à Londres à l’heure actuelle, la City emploie des dizaines de milliers d’étrangers et se doit « d’apparaître internationale ». Raison pour laquelle, résume-t-il, « hormis une motivation d’orgueil national, on a du mal à comprendre l’intérêt d’une telle position qui apparaît dépourvue de toute rationalité économique et politique ».
« Fuite en avant »
Car si l’ambition sous-jacente consiste à s’émanciper de l’Europe dans le but de se rapprocher des États-Unis, le pari semble, là encore, à hauts risques. « Trump ne signera jamais un accord de partenariat privilégié avec le Royaume-Uni si celui-ci n’est pas d’abord favorable aux États-Unis, c’est une évidence », affirme l’expert pour qui la posture de Theresa May tient davantage de la « fuite en avant » que de la véritable stratégie politique. «Pour répondre à la pression de Ukip et satisfaire les attentes d’une partie de la population sur l’immigration, elle semble prête à exposer le pays à des conséquences dramatiques sur le plan économique », précise-t-il. Reste à voir si, dans l’éventualité d’un accord avec Bruxelles, celui-ci sera validé par le Parlement britannique. Rien de moins sûr au vu des risques encourus.
Caroline Castets
*Auteur de La géopolitique pour les nuls ? paru en janvier 2016 aux éditions First.