La commission des lois du Sénat vient de réceptionner un rapport sur l’état de la justice en France. Les parlementaires dressent une série de 127 propositions à inscrire dans une loi quinquennale.

« La justice est embolisée, asphyxiée ». Des mots chocs prononcés par Philippe Bas, sénateur de La Manche, pour présenter le rapport de synthèse déposé mardi 4 avril devant la commission des lois du Sénat. L’élu Les Républicains n’adhère pas pour autant à l’idée de chambouler l’organisation judiciaire soutenue par le think tank Quelle Justice ? en début d’année. Pas question pour lui de privatiser les greffes des tribunaux, de faire dépendre l’administration pénitentiaire du ministère de l’Intérieur ou encore d’intensifier le mouvement de déjudiciarisation.

 

« Misère de la justice »

Mais Philippe Bas tire tout de même la sonnette d’alarme. Le parlementaire parle de « misère de la justice » et de « sentiment d’usure, seulement compensé par l’engagement » des personnes rencontrées lors des auditions.

 

Le constat plus précis est sans appel : une hausse des demandes de justice de 6 % par an, des délais de traitement pouvant s’accroître jusqu’à 44 % par an au tribunal de grande instance (TGI), une augmentation du « stock » de dossiers de 25 % en moyenne, un accès à la justice de plus en plus difficile et une complexité de compréhension de la répartition des compétences entre le TGI et le TI (tribunal d’instance). La mission relève aussi la vacance de presque cinq cents postes de magistrats, un déficit de neuf cents greffiers, la vétusté de certains palais de justice (Nancy, Lille ou Bobigny) aux méthodes artisanales, une précarité du financement de l’aide juridictionnelle et l’absence d’instrument de mesure de l’exécution des peines. « Seuls trois quarts des peines prononcées dans l’année peuvent être exécutées », relève-t-il, mettant l’accent sur les quelques 17 000 places de prisons manquantes pour que certains détenus ne dorment plus sur de simples matelas posés à terre. « Il y a par ailleurs une certaine hypocrisie de la justice à faire croire qu’une condamnation à dix-huit mois de prison ferme sera appliquée, puisque le juge d’application des peines aménage dans la plupart des cas cette sanction », poursuit le sénateur.

« La Chancellerie peine à reprendre en main le service public de la justice »

 

« Pour que le budget de la justice ne soit plus une variable d’ajustement »

Le constat sur l’institution est sévère. « La Chancellerie peine à reprendre en main le service public de la justice », commente-t-il. Il la décrit comme « inutilement centralisée et souvent inefficace », tout en relevant que ce constat est injuste face à une justice qui ne cesse de se moderniser, citant le programme Portalis, les Jirs (juridictions interrégionales spécialisées créées en 2004) ou l’harmonisation de la jurisprudence. « Le secrétaire général du ministère peine à exercer son autorité à la fois sur la direction des services judiciaires, la protection de la jeunesse et l’administration pénitentiaire », constate-t-il, en visant les ministères du Travail ou du Logement qui pénalisent certains comportements sans impliquer la Chancellerie dans leur projet de loi.

 

Face à cet état des lieux, la mission d’information forme 127 propositions à inscrire dans un plan sur cinq ans « pour que le budget de la justice ne soit plus une variable d’ajustement annuelle. » Cela passera par une augmentation de 5 % par an des moyens alloués à l’institution judiciaire, passant de 8,5 milliards d’euros actuels à 10,9 à la fin de la prochaine mandature.

 

La hausse du budget semble particulièrement justifiée par la nécessité de moderniser les outils de gestion des dossiers. Il est question ici de la numérisation des procédures, indispensable pour que « la justice continue à être gratuite, impartiale et indépendante à l’inverse des legal start-up proposant la résolution des litiges ou la saisine des tribunaux sans apporter les mêmes garanties », plaide Philippe Bas.

 

« Sanctuariser le service public de la justice »

Excepté la question du financement de l’aide juridictionnelle, la mission d’information souligne le consensus atteint par ses membres malgré leur différence de couleur politique. « Nous souhaitons sanctuariser le service public de la justice pour faire échapper au débat partisan cette question essentielle de notre société », conclut le sénateur. À quelques semaines des élections présidentielle et législatives, le groupe de travail se concentrera à aiguillonner le prochain gouvernement pour que, jamais, il ne soit en-dessous de ces objectifs. Un défi de longue haleine.

 

Pascale D’Amore

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail