À la fois trop timide pour relancer l’économie du pays et trop éloigné des valeurs traditionnelles de la gauche pour éviter la division de sa famille politique, le virage libéral engagé par François Hollande témoigne de l’échec du « quinquennat de la jonglerie » selon Jean Garrigues*, spécialiste d’histoire politique.

Décideurs. Le bilan de François Hollande est-il plus mauvais que celui de ses prédécesseurs ?

Jean Garrigues. Difficile à dire. Si l’on considère que l’enjeu des dernières présidences depuis les années 1980 réside dans la résorption du chômage de masse, alors le quinquennat de François Hollande est un échec. Mais il n’est pas plus mauvais que celui de ses prédécesseurs. Il n’a juste pas fait mieux. S’il a réussi à enrayer la montée de la courbe du chômage, on ne peut néanmoins pas dire qu’elle soit en voie de régression, comme c’est le cas dans certains pays voisins. Je crois que cet échec est celui du système de la Ve République, dont François Hollande n’est que le bouc émissaire, comme l’ont également été ses prédécesseurs.

 

La situation aurait finalement pu être plus grave…

Oui, je le pense. Certaines mesures comme le CICE ou le pacte de responsabilité, en ce qu’elles ont permis d’alléger les charges des entreprises, ont évité l’enrayement de la croissance. Elles témoignent du virage social-libéral engagé par François Hollande en 2014.

 

 « Cet échec est celui du système de la Ve République, dont François Hollande n’est que le bouc émissaire»

Un tournant historique pour la gauche ?

Je crois que quelque chose s’est effectivement joué en 2014. François Hollande a essayé de calquer la social-démocratie adaptée aux contraintes de la mondialisation instituée en Allemagne par Gerhard Schröder. Mais, à l’inverse de Schröder, François Hollande n’est pas allé suffisamment loin dans la transgression libérale, si bien que les résultats produits ne l’ont été qu’en demi-teinte. Cette prise de position lui a néanmoins coûté cher sur le plan politique. Elle a nourri l’hostilité des frondeurs et coupé le Président de la tradition protectrice de la gauche. Ce tournant a donc été très difficile à justifier. Il a d’un côté perdu la confiance d’une partie de la gauche et de l’autre, il n’a pas réussi à remporter le pari de la relance économique.

 

François Mitterrand avait lui aussi engagé un tournant pour la gauche…. Peut-on comparer les deux présidences socialistes ?

Le discours de François Hollande va plus loin dans la rupture que celui de François Mitterrand. Ce dernier a toujours présenté le tournant de la rigueur comme une sorte d’adaptation conjoncturelle, pragmatique, mais il n’a jamais renié ses racines, à savoir la lutte contre le capitalisme, fil conducteur historique de la gauche. La façon dont François Mitterrand incarnait la fonction présidentielle lui permettait par ailleurs d’assumer ce tournant sans que les électeurs ne lui en tiennent rigueur. S’il a été sanctionné par les Français en 1986 – la droite remporte les élections législatives et Jacques Chirac est nommé Premier ministre –, c’est avant tout parce que ses résultats économiques n’étaient pas bons. La gauche ne lui en a jamais voulu d’avoir rompu avec l’esprit de la relance par la demande, initiée en 1981. Il a d’ailleurs été réélu en 1988 avec un programme économique très éloigné des bases du socialisme. Son discours s’est toujours inscrit en rupture avec l’argent, le patronat et le capitalisme. Ce n’est pas le cas de François Hollande, qui a clairement souligné la nécessité d’adapter le socialisme au monde de l’argent et du capitalisme. C’est un virage nouveau qu’une partie de la gauche a du mal à accepter.

 

Un virage qu’incarne en quelque sorte aujourd’hui Emmanuel Macron ?

Oui, il s’inscrit dans la continuité de ce tournant mais il veut aller plus loin que le « hollandisme » en incarnant une sorte de « blairisme » à la française.

 

François Hollande donne l’impression d’avoir gouverné avec opportunisme, en évitant toute rupture avec son électorat…

Ce qui est certain c’est qu’il est resté sur sa ligne d’équilibre entre sa volonté de mettre en place un social-libéralisme pragmatique et la nécessité de ménager son parti. C’est le quinquennat de la jonglerie. Cela n’est pas tout à fait surprenant et coïncide avec l’expérience et la carrière politique de François Hollande qui est un homme de synthèse. Sauf qu’à un moment donné, la synthèse n’a plus été possible parce qu’elle touche au divorce entre les deux gauches. Ce qui est historique c’est qu’on a l’impression que la conciliation n’est plus possible. La situation est telle qu’elle appelle à des solutions plus tranchées. L’entre deux n’est plus possible.

 

Il n’a effectivement pas non plus séduit le patronat…

Ce que peut lui reprocher le patronat ? Ne pas avoir été assez loin dans la transgression, dans l’allègement des charges et d’être finalement resté dans une sorte de champ idéologique.

 

« François Hollande a d’un côté perdu la confiance d’une partie de la gauche et de l’autre, il n’a pas réussi à remporter le pari de la relance économique. »

Qu’est-ce qui a manqué à François Hollande ?

Une stature de rassembleur, celle qui a toujours permis de résorber les tensions fortes au sein de la famille socialiste et sans laquelle la scission est possible. C’est d’ailleurs ce qui avait conduit à la mort de la SFIO en 1969. Personne ne s’est naturellement imposé à la fin des années Guy Mollet. Personne n’a été  en mesure de rassembler les différents courants. François Mitterrand a justement fait grandir le PS parce qu’il a permis la synthèse des différents courants. Ce que ne peut pas faire François Hollande parce qu’il n’a pas la capacité de passer au-dessus des opposés.

 

A-t-il durablement affaibli la fonction présidentielle ?

Il l’a affaiblie en la présentant comme « normale ». Or, la présidence de la Ve République appelle à la différence. Elle a besoin d’incarner l’autorité et de fédérer, ce qui ne colle pas avec sa personnalité neutre et consensuelle.

 

 

Propos recueillis par Capucine Coquand

@CapucineCoquand

 

* Auteur d 'Élysée Circus : Une histoire drôle et cruelle des présidentielles, Éd Tallandier.

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