Pour leur 18eme édition, les Rencontres Économiques d’Aix, qui trois jours durant, rassemblent comme chaque année 250 intervenants venus du monde entier - économistes et politiques, dirigeants d’entreprise et sociologues, écrivains et universitaires… - ont pour thème les métamorphoses du monde. Celles qui se vérifient chaque jour et impactent nos modes de gouvernance, celles que l’on pressent sans parvenir à les mesurer, celles que l’on redoute… De quoi, pour Jean-Hervé Lorenzi, Président du cercle des économistes et fondateur de l’événement, appeler dirigeants et acteurs du monde actuel à l’humilité.

Le monde est entré dans une phase de bouleversements historique. Une période de transformations et d’incertitudes d’une telle ampleur qu’elle invalide les modèles prescriptifs qui, d’ordinaire, servent d’outils de gouvernance et de leviers décisionnels. Tel est le constat sans appel sur lequel s’est ouverte hier la 18eme édition des Rencontres Économiques d’Aix consacrée, cette année, aux métamorphoses du monde. Dans ce contexte inédit « où les paradigmes économiques, politiques et sociaux sont fondamentalement remis en cause », déclare Jean-Hervé Lorenzi, fondateur et président de l’événement et maître de cérémonie de la session inaugurale, l’heure est plus que jamais à la prudence et, insiste-t-il, « à l’humilité » tant on ignore tout, ou presque, de ce que l’avenir nous réserve. D’où l’urgence « d’identifier des pistes pour renouer le dialogue au niveau national et international, là où, à l’évidence, nous avons un problème », la rupture des dialogues pouvant mener « aux scénarios les plus dangereux » : décrédibilisation des organisations internationales et inefficience des institutions, montée des tentations protectionnistes et explosion des inégalités, unilatéralisme et repli sur soi…

« La croissance, la finance, le climat, la dette, les relations internationales… on ne sait rien de ce qui va se passer »

Menace de ruptures…

Membre du Cercle des Économistes, Patrick Arthus confirme : la période exceptionnelle dans laquelle nous sommes entrés requiert d’être abordée « avec une grande modestie ». Et pour cause : « La croissance, la finance, le climat, la dette, les relations internationales… on ne sait rien de ce qui va se passer », indique-t-il dès l’ouverture des débats, avant de souligner qu’une telle absence de visibilité représente un défi pour les économistes et, pour l’ensemble de nos sociétés, un risque dont on ne semble pas avoir pris la pleine mesure.

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« Quand les politiques économiques deviennent irrationnelles – ce qui est le cas lorsqu’elles aboutissent aux mesures de Trump ou au Brexit – il devient compliqué pour les économistes de faire des prévisions, de s’appuyer sur des modèles, poursuit Patrick Arthus.  Dans ce cas il faut se préparer au risque majeur – comme celui que représenterait la disparition de l’emploi avec l’intelligence artificielle – or nous n’y sommes pas préparés, ni sur la plan politique, ni sur le plan économique. » Et d’ajouter : « Un an avant la grande crise en Chine, les économistes assuraient qu’il ne se passerait jamais rien en Chine… Et jamais jusqu’à maintenant nous avions connu un tel nombre d’incertitudes. » De quoi, effectivement, inciter à l’humilité, mais pas nécessairement au pessimisme et encore moins à l’inaction. 

« Construire le futur que nous souhaitons »

… impératifs d’évolution…

Ce qu’ont souligné les uns et les autres en en appelant à la nécessité de faire évoluer certains fondamentaux pour assurer leur continuité. Parmi eux, le multilatéralisme – qui, face aux décisions récentes du président Trump, doit selon Patrick Arthus se réinventer de « façon plus flexible et prendre la forme de nouvelles coopérations » - mais aussi le capitalisme. Ce modèle qui, selon Oby Ezekwesili, de l’Africa economic development policy initiative, présente des failles et « produit des échecs », mais bien moins que tout autre système. D’où la nécessité d’assurer sa sauvegarde en en reconnaissant les manquements…  « Les limites du capitalisme existent mais aucun système ne fonctionne mieux et ceux qui, comme moi, le défendent doivent en avoir conscience et être les premiers à chercher à chercher à le faire évoluer », affirme-t-elle. Alors qu’un nouveau paysage émerge, marqué par le risque de voir certains équilibres modifiés, certains fondamentaux contestés, mais aussi par la montée en puissance de révolutions telles que la blockchain et l’intelligence artificielle, les politiques doivent adapter les normes, « se réveiller », assène l’experte, de manière à favoriser une nouvelle gouvernance, « adaptée aux changements en marche ». 

 

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… et constances à préserver

Interrogés sur ce qui perdurera au-delà des bouleversements en cours, sur ces essentiels de nos sociétés appelés à survivre aux mutations actuelles, beaucoup évoquent les valeurs, ce socle d’humanité qui, estime Pierre Jacquet, du Cercle des Economiste, est là pour nous rappeler, « en pleine crise des migrants, qu’un réfugié est d’abord un homme » et pour nous inciter à « construire une permanence de valeurs » au cœur desquelles Mingpo Cai, président fondateur de Cathay Capital, place la sincérité, cette aptitude humaine « qui transcende les différences culturelles et créent les liens qui durent ». Ceux qui permettent, non pas de répondre au protectionnisme par le protectionnisme – ce que l’Europe fait lorsqu’elle répond aux mesures récentes du gouvernement américain par des sanctions, souligne Pierre Jacquet qui voit là une manifestation de « passion politique et non de rationalité économique » - mais de construire « le futur que nous souhaitons ». Car face aux métamorphoses et aux bouleversements constatés, la question qui s’impose selon les membres du cercle des Economistes tient en quelques mots : quel avenir voulons-nous et comment comptons-nous le modeler ?

 

Caroline Castets

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