Angela Merkel : un départ à double tranchant
Un départ annoncé qui suscite certaines interrogations. Sur la prochaine gouvernance d’un pays dont l’aspiration identitaire incite déjà chaque parti à durcir ses positions, mais aussi sur les futures relations de celui-ci avec l’Union européenne.
Angela Merkel et Emmanuel Macron assis côte à côte et main dans la main, le 11 novembre dernier, dans le wagon qui, à Rethondes, un siècle plus tôt, accueillait les signataires de l’armistice. L’image est forte : celle de la réconciliation de deux nations et d’une volonté commune de construire la paix, mais aussi d’une certaine vision de l’unité et de l’avenir européen. Cet avenir qui, bientôt, devra s’écrire sans la chancelière allemande.
Un départ annoncé qui suscite certaines interrogations. Sur la prochaine gouvernance d’un pays dont l’aspiration identitaire incite déjà chaque parti à durcir ses positions, mais aussi sur les futures relations de celui-ci avec l’Union européenne.
Après treize années passées à la tête de la chancellerie et dix-huit à celle de son parti, Angela Merkel annonçait le 29 octobre dernier son intention de ne pas se représenter aux prochaines élections du Bundestag, en 2021, et de quitter la présidence de la CDU sans attendre. Une décision officiellement motivée par l’ultime revers électoral essuyé la veille par son parti et son allié social-démocrate le SPD mais aux causes en réalité bien plus anciennes. Enracinées dans une crise politique dont l’ampleur sera révélée l’an dernier, lorsque les élections fédérales de septembre 2017 verront le parti d’extrême droite, l’AfD, enregistrer une envolée historique au détriment des partis au pouvoir.
« Souffle identitaire »
En cause : une coalition qui ne parvient pas à prendre et au sein de laquelle les polémiques et les tensions s’accumulent depuis des mois, mais aussi et surtout, de l’avis de beaucoup, la politique d’immigration instaurée par Angela Merkel en 2015 et qui, en deux ans, conduira le pays à accueillir un million de demandeurs d’asile. De quoi susciter la colère d’une large partie de l’électorat et alimenter les attaques de la classe politique, jusqu’au sein de son propre parti. De quoi, surtout, fournir un argument de choix à l’AfD, laquelle, enhardie par une succession de victoires électorales et par une opinion de plus en plus sensible à ses positions anti-migrants, n’hésite plus à accueillir dans ses rangs radicaux de droite et partisans néonazis.
Cette situation en dit long sur le « souffle identitaire » qui traverse aujourd’hui l’Allemagne et qui, à en croire Rémi Bourgeot économiste et chercheur associé à l'IRIS, a peu de chance retomber avec le départ, en 2021 au plus tard, d’Angela Merkel…
Nouvelle donne
De là à faire craindre une arrivée au pouvoir de l’AfD ? Sans doute pas, relativise l’économiste spécialiste de l’Union européenne et chercheur à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques), mais indéniablement de quoi emmener les partis traditionnels à durcir leurs positions pour répondre aux attentes d’une opinion aujourd’hui de plus en plus ouvertement hostile aux politiques de « la porte ouverte ».
« L’extrême droite n’a que très peu de chances d’accéder au pouvoir : c’est un parti désorganisé et quasiment dépourvu de programme, explique-t-il. En revanche son envolée électorale change la donne politique en exerçant une pression sur les autres partis qui l’ont bien compris : aujourd’hui, le fond de l’air est conservateur en Allemagne. » Une réalité qui ne manquera pas de se confirmer une fois la guerre de succession officiellement ouverte et une fois, surtout, Angela Merkel sortie du jeu politique.
Vers un durcissement des positions
« Même si la chancelière a, elle aussi, dû durcir certaines de ses positions, elle a toujours cette image de centre-droit qui rassure à l’étranger tout en lui valant des attaques constantes en interne, analyse Rémi Bourgeot. Avec l’Union européenne, elle pratiquait depuis longtemps un attentisme qui bloquait les décisions. Son successeur aura très certainement des positions plus conservatrices mais aussi plus franches. » Reste à savoir si ces dernières seront compatibles avec celles du président Macron qui, on le sait, plaide depuis des mois pour une plus grande intégration fiscale et pour la constitution d’une armée européenne. Préoccupations aujourd’hui aux antipodes des priorités d’une Allemagne qui, « en pleine montée identitaire, conclut Rémi Bourgeot, reste focalisée sur la question migratoire et viscéralement hostile à tout projet d’intégration accrue au sein de l’Europe ». Une posture déjà actée sous Angela Merkel mais qui devrait devenir « plus visible » avec son successeur.
Caroline Castets (Caro_Castets)