Encore peu connue du grand public, Agnès Evren est pourtant une voix qui compte au sein de LR. Ce qui lui permet de figurer en seconde position de la liste que présente le parti aux européennes.

À droite, il y a du changement dans l’air. Traditionnellement, les mouvements issus du gaullisme aiment mettre à l’honneur un « chef » lors des élections. Les européennes de 2019 marquent un tournant. Pour la première fois, c’est un trio qui est présenté devant les électeurs. Si la tête de liste, François-Xavier Bellamy, commence à se faire un nom, Agnès Evren, qui figure en seconde position, est encore peu connue malgré sa longue expérience. Elle pourrait pourtant jouer un rôle central dans les années à venir.

Contrairement à de nombreux responsables de droite, Agnès Evren ne vient pas d’un milieu aisé. Véritable symbole de la méritocratie républicaine, elle grandit auprès de neuf frère et sœurs. Son père est commerçant et sa mère femme au foyer. Excellente élève, Agnès Evren, qui possède des origines turques, passe son bac au lycée Pablo Picasso à Fontenay-sous-Bois. La native de Paris poursuit sa scolarité à la Sorbonne et y obtient un DESS de communication politique puis un DEA de sciences politiques.

Murmurer à l’oreille des ministres

Sa carrière politique commence véritablement en 1996, dès son diplôme en poche. Agnès Evren devient collaboratrice parlementaire de Jean-Michel Dubernard. Au côté du célèbre médecin engagé au RPR, elle se spécialise dans les questions liées à l’éducation. Une expertise qu’elle approfondit en 2002 lorsqu’elle rejoint le cabinet de Luc Ferry, ministre de l’Éducation nationale et de la recherche de Jacques Chirac. Elle y exerce les fonctions de conseillère parlementaire puis de chef de cabinet.

Deux ans plus tard, elle quitte le 110 rue de Grenelle et crée ADF Corporate, une société de conseil en stratégie politique qu’elle dirige avec Pierre Weill. En 2008, elle retrouve son bureau au ministère de l’Éducation et rejoint Xavier Darcos qu’elle suit ensuite au ministère du Travail. Son parcours dans les arcanes du pouvoir se poursuit méthodiquement. En 2010, elle devient conseillère parlementaire de François Baroin au ministère du Budget puis à Bercy. Le changement de majorité en 2012 met fin à son ascension de conseillère.

À l’assaut de la droite parisienne

Mais la politique est un sacerdoce pour Agnès Evren qui, en parallèle de son activité ministérielle, nourrit une passion pour les relations au plus près des citoyens. Dès 2001, elle est élue adjointe au maire du XVe arrondissement en charge des conseils de quartier. Par la suite, elle prend la charge de l’enseignement du second degré et des universités. Ces fonctions lui permettent de tisser patiemment sa toile dans la capitale. À force d’écumer les marchés et les réunions citoyennes, elle se taille peu à peu une certaine notoriété à l'intérieur du périphérique… C’est donc logiquement qu’en 2014 elle devient l’une des porte-parole de Nathalie Kosciusko-Morizet qui tente en vain de détrôner Anne Hidalgo de l’Hôtel de Ville. Bien qu’infructueuse pour la droite, la campagne municipale lui permet de prendre la lumière et de se faire connaître dans tous les arrondissements.

Au sein d’une droite parisienne en manque de leader, elle tente sa chance et décroche un poste que l’on peut qualifier de tremplin : celui de présidente de la fédération LR de Paris. Le 14 octobre 2018, elle succède à Philippe Goujon. « Peu d’observateurs ou connaisseurs du parti pensaient qu’elle l’emporterait. Elle a renversé la tendance, ce qui est une preuve de pugnacité », témoigne Cédric Rivet-Sow, ancien président des Jeunes avec Fillon. Selon lui : « Aujourd’hui plus que jamais, LR a besoin de personnes qui puissent déjouer les pronostics. C’est le cas d’Agnès Evren.» Cette élection lui permet également de peser davantage au sein du parti. « Paris est la seconde plus grosse fédération derrière les Alpes-Maritimes. La contrôler lui donne le pouvoir d’être entendue dans les instances dirigeantes », souligne Émilien Houard-Vial, spécialiste de la droite et enseignant à Sciences Po Paris. Désormais, sa voix compte. D’autant plus que depuis 2015, cette proche de Valérie Pécresse, est Vice-présidente de la région Ile-de-France, en charge de l’éducation et de la culture.

Une femme de terrain

Des ministères aux fédérations en passant par le conseil régional ou le bureau politique, son parcours a fait d’elle une femme de réseaux, que certains pourraient qualifier « d’apparatchik ». Mais son excellente connaissance des rouages du parti est un atout pour les élections européennes. Si François-Xavier Bellamy joue le rôle de l’intellectuel et Arnaud Danjean celui de l’élu européen expérimenté, les deux hommes peuvent renvoyer l’image de personnalités éloignés du terrain. Ce n’est pas le cas d’Agnès Evren qui  fait de la proximité avec les militants sa marque de fabrique.

"Pour mobiliser les militants Agnès Evren est probablement ce qui se fait le mieux dans le parti"

«Pour s’investir dans une campagne, conquérir des voix, les militants ont besoin de savoir que les chefs de file leur font confiance, reconnaissent leur travail, mettent la main à la pâte » estime Maxime Renault, jeune encarté LR qui a côtoyé Agnès Evren lors de la présidentielle et de la conquête de la fédération de Paris. L’étudiant de 20 ans apprécie l’attitude de la candidate aux européennes. « Elle est simple, donne très facilement son numéro de téléphone, reste parler avec nous, nous encourage, prend de nos nouvelles », ce qui est d’après lui « rare voire exceptionnel parmi les pontes du parti. Ces petits gestes nous encouragent à nous lever tôt pour aller tracter pour elle. »

Même son de cloche du côté de Cédric Rivet-Sow. Selon lui, en politique, « les meetings et la présence médiatique jouent un rôle de premier ordre. Mais il ne faut pas négliger la base ». Or d’après lui, « pour tracter, visiter les fédérations, mobiliser les adhérents, Agnès Evren est probablement ce qui se fait le mieux dans le parti. »

Rassembler la famille

Au niveau politique, la présence d’Agnès Evren en haut de la liste est un joli coup réalisé par Laurent Wauquiez. D’obédience « pécretiste », l’élue parisienne permet en effet de gommer l’image conservatrice de la tête de liste François-Xavier Bellamy. Sa présence, couplée au ralliement du Nouveau Centre d’Hervé Morin, devrait permettre d’attirer une partie de la droite modérée. « Une nécessité pour le parti fondé par Nicolas Sarkozy qui a perdu gros lors de l’élection présidentielle de 2017 puis aux législatives. C’est une bête blessée qui doit panser ses plaies », précise Émilien Houard-Vial. Il estime que le parti « doit à tout prix conserver son socle de base, c’est-à-dire environ 15% de l’électorat. Une mission impossible à accomplir sans une figure de droite certes, mais d’image modérée et résolument pro-européenne ».

Sa présence devrait permettre d'attirer une partie de la droite modérée

Autre avantage aux yeux de Laurent Wauquiez et des électeurs, cette mère de deux adolescents est ambitieuse mais loyale. « Notre électorat a très mal vécu de voir des responsables quitter le navire en 2017 », estime Cédric Rivet-Sow. D’après le jeune homme, « Agnès Evren aurait pu obtenir une belle place chez les Constructifs ou en Macronie. Elle est restée, ce qui lui assure de fait le soutien de l’électorat. Elle ne jouera pas sa propre partition. »

Au-delà du socle traditionnel, Agnès Evren a pour objectif d’aider le parti de droite à conquérir de nouveaux électeurs. Un défi de taille puisque l’image du parti est « sclérosée » selon l’expression de Maxime Renault. Mais, selon lui, le trio de tête aux européennes permet de changer la donne. « Lors des séances de tractage, on nous disait souvent : chez LR, ce sont tous les mêmes, nous voulons du renouvellement. » Pour le jeune militant, il est désormais présent, ce qui permet « de débattre sur le fond, de faire avancer nos idées. Ne nous le cachons pas, il est bien plus simple d’avoir Agnès Evren sur un tract que Nadine Morano ou Brice Hortefeux.» À voir si les électeurs se laisseront séduire.

Lucas Jakubowicz

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