Julian Assange : wanted
Certains voient en lui un martyr de la liberté de la presse doublé d’un lanceur d’alerte à protéger. D’autres, un extrémiste de la transparence, à haut risque pour les causes qu’il prétend servir. Julian Assange, figure controversée de l’univers politico-médiatique sous le coup de deux mandats d’arrêt internationaux depuis des années, se trouve à l’enjeu de luttes géopolitiques dont la portée pourrait dépasser de beaucoup les faits qui lui sont aujourd’hui reprochés. Surtout depuis que l’Équateur qui, il y a sept ans, lui avait accordé l’asile dans son ambassade de Londres, est soudainement revenu sur cette protection, permettant son arrestation le 11 avril dernier par la police britannique pour avoir violé les termes de sa liberté conditionnelle. Pour l’heure emprisonné en Angleterre, Julian Assange pourrait donc, dans les prochains mois être extradé en Suède, où il est accusé de viol, ou aux États-Unis, où il l’est de piratage.
Collision de droits
De quoi créer un imbroglio juridique mais aussi diplomatique et éthique sans précédent, explique un avocat pour qui la complexité de « l’affaire Assange » tient en grande partie au fait qu’elle repose sur une « collision de droits ». « De multiples notions de protection y entrent en contradiction, explique-t-il : protection des droits de l’homme, du secret d’État, de la liberté de la presse, d’expression, des lanceurs d’alerte… » À la difficulté juridique de concilier ces divers « sanctuaires juridiques » s’ajoute une seconde problématique, tout aussi délicate à manier, d’appréciation de ces différents droits au regard des territoires concernés.
"Pour les américains, Julian Assange ne représente plus une menace mais un symbole"
« L’extrême complexité de cette affaire s’explique aussi par le fait que tous les pays n’accordent pas la même importance aux mêmes notions, poursuit cet avocat. Chaque loi s’enracine dans une culture donnée, si bien que ce qui est toléré par les uns peut être considéré comme inacceptable pour les autres. Ainsi, ce que les États-Unis estiment tenir de la haute trahison est perçu par certains, en France et ailleurs, comme relevant d’une démarche salutaire ayant permis de lever le voile sur des pratiques inacceptables. » Comme ce fut le cas avec la divulgation, fin 2010, de documents classés secret-défense et révélant des actes de torture perpétrés par l’armée américaine en Afghanistan et en Irak.
Hyper-transparence : garde-fou ou menace
Autre matière à controverse, la notion d’« hyper-transparence » au cœur de la vocation de Wikileaks – créée en 2006 dans le but affiché de « démasquer les secrets et abus d’État » – et de l’essentiel des poursuites contre son fondateur. Alors que certains y voient un garde-fou, d’autres, à l’inverse, évoquent « une menace pour la démocratie et les droits de l’homme ». Parmi ceux-là Gilles Rémy, président de Cifal – groupe spécialisé dans le commerce international –, conseiller du commerce extérieur de la France et spécialiste des relations internationales. « À l’origine, la démarche du lanceur d’alerte relevait d’une ambition altruiste et comportait un réel intérêt pour les démocraties, estime-t-il, mais au fil du temps la notion s’est galvaudée et elle est aujourd’hui en bonne part instrumentalisée. »
Pour l’exemple…
Quant à savoir pourquoi le gouvernement américain accorde tant de prix à l’arrestation d’un homme qui, pour l’heure, n’est poursuivi « que » pour piratage informatique, sa réponse est sans appel : pour l’exemple.
« Pour les États-Unis, Julian Assange ne représente plus une menace mais un symbole », affirme-t-il. Obtenir son extradition et sa condamnation serait « la meilleure façon » de dissuader les potentiels lanceurs d’alerte qui, à leur tour, envisageraient de révéler des informations susceptibles de nuire au pays. « Pour les en dissuader, les États-Unis ont besoin d’un signal fort », résume-t-il. Nul doute que, avec sa notoriété mondiale et son CV de « cyber warrior », Julian Assange en soit un.
Caroline Castets