Pour faire émerger une droite moderne et libérale, l’eurodéputé compte lancer son propre mouvement tout en restant chez LR. Un choix surprenant pour un homme qui a longtemps incarné une ligne conservatrice et identitaire.

C’est une tradition dans la vie politique. Après une défaite, les langues se délient et les couteaux sont de sortie. À la suite du calamiteux 8,48% aux élections européennes, LR n’échappe pas à la règle. Si Laurent Wauquiez s’est vu critiqué et contesté au point de quitter la présidence du parti, la tête de liste, François-Xavier Bellamy a globalement échappé aux critiques. Jusqu’au 16 juin. Dans une interview accordée au JDD, son directeur de campagne, Geoffroy Didier sort l’artillerie lourde. Il accuse l’universitaire d’être réactionnaire, peu collectif et prisonnier de son propre entourage, « une petite quinzaine de collaborateurs fans qui le prenaient pour Jésus-Christ ». Pour autant, Geoffroy Didier affirme rester plus que jamais LR et « se battre pour obliger la droite à s’ouvrir, pas à se rabougrir ».

Pour mener le combat, Geoffroy Didier a une stratégie qu’il annonce dans Le Parisien un mois plus tard : lancer à l’intérieur du parti son mouvement qui « ferait émerger une droite moderne »,combattrait le « rigorisme moral » et le « marche ou crève libéral » en défendant notamment la PMA pour toutes les femmes ou en rompant avec l’objectif de diminuer fortement le nombre de fonctionnaires.

Girouette ?

Ce positionnement résolument progressiste et social a surpris car il ne correspond pas forcément à l’image que les sympathisants de droite ont de lui. À tort ou à raison d’ailleurs. Il est vrai que le député européen est parfois difficile à suivre. En 2006, Geoffroy Didier est un jeune avocat de 31 ans enregistré aux barreaux de Paris et New York. Son cursus universitaire est impeccable : diplômé de Sciences Po en 1998, il obtient un DEA en droit des affaires à Paris II en 2000 avant d’enchaîner avec un master of law à Columbia et un master à l’Essec.

À cette époque, il se définit comme un « Sarkozyste progressiste » et fait partie des têtes pensantes de La Diagonale, un club politique regroupant des sarkozystes de gauche qui défendent notamment le mariage pour tous, la discrimination positive ou le droit de vote des étrangers aux élections locales. En parallèle de ce travail de réflexion, il occupe également des fonctions de conseiller et de plume auprès de Brice Hortefeux qu’il rejoint en 2005 alors que celui-ci est nommé ministre délégué aux Collectivités territoriales. Il figurera à ses côtés lorsque ce proche ami du président de la République sera aux manettes de la place Beauvau.

En 2012, la victoire de François Hollande rebat les cartes. Terminé le travail ministériel, place aux combats d’appareil. Il s’associe avec Guillaume Peltier, passé par des associations catholiques traditionnalistes, le Front national et le MPF de Philippe de Villiers dont il a présidé la section de jeunesse. Sur le papier, cette alliance de la carpe et du lapin donne naissance à un nouveau courant, La Droite forte qui se place résolument à la droite de ce qui était alors l’UMP. Dans les médias, Geoffroy Didier défend des idées bien éloignées de ses débuts : quotas de journalistes de droite dans les médias, suppression du droit de grève pour les enseignants ou encore de l’aide médicale d’État.

Sur le terrain, il devient conseiller régional d’Ile-de-France en 2010 puis échoue aux cantonales dans le Val d’Oise où il mène une campagne proche du FN. Sur ses tracts : « Non à la burqa, non aux minarets, non à l’asservissement de la femme ». Malgré la défaite, il reste implanté dans la région Ile-de-France. Recentré, il participe à la campagne régionale victorieuse de 2015 aux côtés de Valérie Pécresse et occupe le poste de vice-président chargé de l’attractivité, du logement et de la rénovation urbaine. Pour la première fois, il sort de l’ombre et pilote des projets concrets. Avec un certain brio : « C’est un travailleur acharné, qui apprend très vite et qui maîtrise très bien ses dossiers », souligne Maxime Renault, jeune militant LR du Val-d’Oise. Au point de devenir le responsable du programme logement de François Fillon lors de la présidentielle de 2017. À l’issue des législatives, il devient député européen à la place de Constance Le Grip élue députée des Hauts-de-Seine. À Bruxelles, comme à la région Ile-de-France, il donne l’image d’un élu travailleur et impliqué.

"Comment faire confiance à un élu qui a félicité les manifestants de Sens commun et qui désormais défend la PMA pour tous ?"

De quoi lui donner l’envie de voler de ses propres ailes et de rassembler autour de son nom, chose qu’il n’avait pas su faire en 2016 lorsqu’il a voulu se présenter aux primaires de la droite et du centre, faute de soutiens. « La droite est en pleine introspection, n’a plus ni idées ni valeurs. C’est un contexte propice aux aventures personnelles », note Bruno Cautrès, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) qui comprend l’envie de Geoffroy Didier : « il a fait ce qu’il pouvait pour faire primer le collectif, il a toujours joué la carte du mouvement mais il se sent libéré de son devoir de solidarité ». La droite est dans un tel état de délabrement que l’homme de 43 ans à l’allure juvénile peut légitimement penser : pourquoi pas moi ? Après tout, il appartient à la même génération que Julien Aubert, Guillaume Peltier ou Guillaume Larrivé qui, eux aussi, aspirent à de plus hautes fonctions au sein de la droite.

Une aventure solitaire

Toutefois, Geoffroy Didier part avec certains handicaps dans sa course vers le pouvoir. Principal reproche fait au quadragénaire : son manque de sincérité. « Comment faire confiance à un élu qui a félicité les manifestants de Sens Commun avant de défendre la PMA pour tous ? Comment croire en une personne qui souhaite maintenant protéger les fonctionnaires après avoir voulu interdire le droit de grève aux enseignants ? », estime Maxime Renault pour qui le passé du député européen le rend incapable d’incarner l’espace politique qu’il prétend désormais défendre. Le militant déplore « les errements » de Geoffroy Didier car il en est certain : « C’est une personne résolument moderne et lorsque dans les réunions publiques, notamment à Argenteuil où je milite, il dénonce les positionnements arriérés d’une partie de la droite, il semble être en accord avec lui-même ». Le militant pense également qu’avoir lâché publiquement François-Xavier Bellamy après la campagne est une erreur : « Beaucoup mettront du temps à digérer cette inélégance, même s’ils ne partagent pas ses idées. »

"C'est un intellectuel plutôt germano-pratin qui n'a pas encore de parlementaires et de militants à ses côtés"

Cette attitude perçue comme versatile explique en partie pourquoi l’annonce de son initiative n’a guère généré d’enthousiasme. Au pire, du sarcasme, au mieux de l’indifférence, comme en témoigne une lecture rapide des comptes Twitter ou des sites internet où s’expriment les militants et les sympathisants de droite. Si Geoffroy Didier annonce le ralliement d’élus locaux, de militants et de parlementaires en octobre, il apparaît pour le moment bien seul. Bruno Cautrès le qualifie pour le moment de « chef sans troupe ». Et selon lui, elles mettront du temps à s’étoffer. « C’est un profil plutôt germano-pratin, intellectuel, qui ne pèse pas dans les territoires et qui n’a pas de réseaux d’élus, de parlementaires et de militants à ses côtés », analyse l’universitaire. Cette situation pourrait s’avérer un obstacle au moment où il faudra tracter et rassembler sur son nom. Geoffroy Didier semble conscient de cela puisqu’il compte faire le tour de la France pour recruter des troupes et porter ses idées.

Peu d’espace politique

Un pari audacieux puisque l’espace dans lequel il compte évoluer est étroit : « Certes, il existe de nombreuses voix à droite qui estiment que la ligne politique identitaire de LR a été un échec », reconnaît Bruno Cautrès. Mais ces électeurs ont pour la plupart quitté le parti pour rejoindre Valérie Pécresse, Agir ou encore LREM. Mais s’adresser aux pécretistes encore chez LR est une ligne politique peu porteuse. Surtout lorsque l’on a été soi-même un acteur de la dérive identitaire du parti.

De là à penser que l’initiative de Geoffroy Didier est malvenue, il n’y a qu’un pas que Maxime Renault ose franchir : « c’est un élu prometteur et intelligent qui a déjà des responsabilités dans le parti. Il peut changer les choses de l'intérieur sans ajouter de la division ». Un avis partagé par Bruno Cautrès, qui estime que la création d’un mouvement ne correspond ni aux attentes des électeurs, ni au profil de Geoffroy Didier qui n’aurait rien à gagner à « reprendre un courant de nostalgiques de la droite chiraquienne ».

Lucas Jakubowicz

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