20% des maires se déclarent victimes de harcèlement en ligne. Pour mettre fin au phénomène, la volonté juridique existe. Mais le manque de moyens favorise les agresseurs numériques. Au détriment de la démocratie.

Jeudi 13 février 2020. À l’occasion d’un déplacement au pied du massif du Mont-Blanc, Emmanuel Macron rencontre Jean-Marc Peillex, maire de Saint-Gervais. Une faute grave pour des internautes qui, dès le lendemain, ciblent le maire coupable d’avoir rempli son devoir républicain. « En deux jours, j’ai reçu environ 800 messages d’insultes sur Facebook et sur Twitter, certains allant jusqu’à l’appel au meurtre. Ils proviennent notamment de 450 faux profils créés pour l’occasion. Du harcèlement à l’échelle industrielle », témoigne l’élu pour qui ce flot de haine a également eu un impact sur sa vie personnelle. « Pendant plusieurs jours, j’ai eu une petite boule au ventre en conduisant ma voiture, on ne sait jamais. Pneu crevé, frein saboté, mieux valait être prudent », reconnaît le maire pourtant « peu sujet à la paranoïa ». Un fait divers ? Pas vraiment…

Une cible idéale

Les maires sont de plus en plus fréquemment victimes de violences : menaces physiques, agressions verbales, cyberharcèlement. Et parfois meurtre. Le 5 août 2019, Jean-Mathieu Michel, maire du village varois de Signes depuis trente-six ans est mort volontairement écrasé par un fourgon qui déposait des gravats en bord de route. La goutte de trop pour Philippe Bas, sénateur LR de la Manche et président de la commission des lois. L’ancien ministre de Jacques Chirac a immédiatement lancé une vaste consultation pour mieux comprendre la nature des violences dont sont victimes les maires. 3 800 d’entre eux, soit près de 15% de la profession, ont répondu. « Un chiffre important pour un questionnaire envoyé en plein été », soutient Philippe Bas qui estime que ce travail « est véritablement significatif ».

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Sénateur LR de la Manche, président de la Commission des lois, Philippe Bas est à l'origine d'un plan d'action pour une plus grande sécurité des maires. 

Parmi la multitude de données recueillies, l’une d’elles retient l’attention : 20% des maires ont été confrontés à du harcèlement en ligne. « Qu’il s’agisse de questions liées à des permis de construire ou à des querelles de clocher, nous avons toujours été des cibles idéales », note Jean-Marc Peillex, premier édile de la commune haut-savoyarde depuis 2001. Il remarque toutefois une accélération du harcèlement facilité par les réseaux sociaux. Pour Philippe Bas, ces derniers permettent d’agir de manière « rapide, massive et virale. Nous sommes bien loin des libelles du XVIIIe siècle qui circulaient sous le manteau entre initiés ». Difficile de quantifier la hausse du cyberharcèlement dont sont victimes les maires. Il est toutefois probable qu’il augmente, notamment à cause de ce que Jean-Marc Peillex nomme « l’effet gilet jaune » qui pourrait désinhiber les citoyens voulant s’en prendre à leurs élus locaux sur les réseaux sociaux… Face à des harceleurs tapis dans l’ombre que peuvent faire, les victimes ?

Ne pas se taire

Si certains, pour des motifs divers, peuvent être tentés de se taire, ce n’est pas l’attitude choisie par Jean-Marc Peillex qui a immédiatement rendu publiques les agressions en ligne. Pour lui, les choses sont claires : « Je pars du principe que ces insultes sont pour moi, mais aussi, symboliquement, pour tous les maires. J’ai donc partagé cela au plus grand nombre ». De quoi réjouir Philippe Bas qui estime que « le maire de Saint Gervais a bien fait d’agir de la sorte pour porter le sujet dans le débat public ».

Dans les jours qui ont suivi, de nombreux médias ont mis en avant le cas du maire de Saint Gervais. De quoi sensibiliser l’opinion et les responsables politiques. « J’ai reçu des messages de solidarité de la part de l’Association nationale des élus de montagne, de membres du gouvernement comme Emmanuelle Wargon ou encore du président de la République via son chef de cabinet », se remémore Jean-Marc Peillex qui rappelle que, au-delà de la solidarité dans les déclarations, le droit est de son côté.

Manque de moyens

L’article 222-33-2 du code pénal est très clair : « Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. » Cela concerne également le harcèlement en ligne. L’usage des nouvelles technologies est d’ailleurs un facteur aggravant.

Pourtant, trop peu de personnes s’adonnant à cette pratique douteuse sont condamnées. Entre les textes et la réalité, existe en effet un gouffre que déplore Philippe Bas : « Sur les questions liées au cyberharcèlement, les magistrats sont encore trop mal formés et les parquets n’ont pas toujours les connaissances techniques suffisantes. » Certes, la garde des Sceaux a diffusé une circulaire demandant à la justice de faire preuve de fermeté, « mais cela ne suffit pas », déplore le sénateur.

"Il faut en moyenne 45 jours à la justice française pour ordonner en procédure d'urgence le blocage d'un site"

Résultat, les affaires peuvent traîner en longueur. « Il faut en moyenne 45 jours à la justice française pour ordonner en procédure d’urgence le blocage d’un site. » Du pain béni pour les harceleurs, qui s’en donnent à cœur joie. Ces derniers, parfois proches de partis politiques, d’associations voire de puissances étrangères peuvent donc agir relativement librement. La loi contre les contenus haineux sur internet (loi Avia) aurait pu limiter ce type de d’agissements. « Malheureusement, elle ne propose aucune mesure pour lutter contre les usines à trolls, malgré des propositions d’amendements », observe le président de la commission des lois qui a fait en sorte de « renforcer l’assurance obligatoire des élus afin qu’ils puissent mener gratuitement des actions en justice ». En attendant que la justice prenne davantage en compte le problème, Philippe Bas encourage les élus visés à ne jamais baisser les bras.

Gardiens de la démocratie

À leur échelle, les maires sont les garants de la démocratie, des rouages primordiaux au bon fonctionnement de l’État. Laisser proliférer les sites et posts qui s’en prennent outrageusement à eux revient à « normaliser les fake news dans le débat public et à accepter la manipulation de l’opinion », craint le sénateur. Sans compter que cette intrusion dans la vie personnelle peut selon lui « décourager les vocations ». Au point de se résoudre un jour à se reposer sur des maires virtuels ?

Lucas Jakubowicz

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