RN et gaullisme, l'improbable récupération
Novembre 2014. Florian Philippot, alors numéro deux du FN, se rend au pied de la tombe du général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises pour y déposer une gerbe à titre personnel. Un geste fondateur qui marque le grand départ d’une opération de récupération de la part du parti d’extrême droite. Désormais, Marine Le Pen ne se prive pas de se déclarer gaulliste. Au point de revendiquer ce mois-ci "sa grande proximité avec le Général" et d’annoncer sa visite à l’Ile de Sein, fief de la France libre pour commémorer les quatre-vingts ans de l’appel du 18 juin. Une OPA odieuse puisque, qui connaît un tant soit peu la politique, sait bien que par son histoire et par ses actes, le parti désormais baptisé RN est à des années lumières de la pensée du Général.
Le poids de l’Histoire
Né en 1972, le parti n’est à l’origine pas très gaulliste, c’est le moins que l’on puisse dire. Peuplé de nostalgiques de Vichy et de l’Algérie française ainsi que de membres du groupuscule fasciste Ordre nouveau, il se construit dans une haine du général de Gaulle. Anecdote piquante : le dépôt des statuts du mouvement est fait par Pierre Bousquet, un homme qui a participé à la Seconde Guerre mondiale. Mais dans les rangs de la Waffen SS.
Les années passent, le parti grandit mais reste toujours farouchement antigaulliste. Un choix assumé par Jean-Marie Le Pen qui, dans ses Mémoires publiées en 2018 étrille Charles de Gaulle qualifié de "faux grand homme" qui a "aidé la France à devenir petite".
Encore aujourd’hui, malgré bien des efforts, le parti reste marqué par cet ADN. Dans le sud du pays, il continue à séduire un électorat composé de rapatriés d’Algérie et de leurs descendants. Thibault de la Tocnaye, fils d’Alain de la Tocnaye, ponte de l’OAS ayant participé à l’attentat du Petit Clamart en 1962, est aujourd’hui conseiller général RN de la région Paca. Il a notamment fait parler de lui en 2016 en qualifiant Christian Estrosi "d’enfoiré de gaulliste" lors d’un débat au conseil régional.
En 2016, un conseiller régional RN a qualifié Christian Estrosi "d'enfoiré de gaulliste"
Certes, les défenseurs de ce changement de cap auront beau jeu de dire que ce positionnement relève du passé, qu’il est minoritaire, que le gaullisme n’est pas une propriété privée ou que les partis ont bien le droit de changer d’idéologie. Ils ont raison. Mais, dans les faits, le RN se situe toujours à des années lumières de la philosophie gaulliste.
Le Général doit se retourner dans sa tombe
Voir un tel parti politique se réclamer du gaullisme doit être un crève-cœur pour tous les vrais amoureux de l’homme du 18 juin et de la politique qu’il a menée. Car, sur le fond comme sur la forme, le Rassemblement national est l’exact opposé de l’idéologie à l’origine de la Ve République.
Le cœur de la pensée gaulliste peut se résumer en une phrase : la France est grande et tous les Français peuvent continuer à la faire croître ensemble. En bref, le gaullisme c’est l’optimisme et l’union. Deux valeurs qui ne font pas vraiment partie de la doctrine frontiste qui privilégie la thèse du déclin national ; par la faute de certains (les élites mondialisées, les bobos urbains, les musulmans…).
Le RN s’en prend à l’Union européenne accusée de bien des maux ? De Gaulle fut au contraire un partisan de la construction européenne. Une construction basée sur l’Europe des Nations. Comme c’est le cas actuellement. En matière de politique étrangère, Charles de Gaulle a toujours privilégié le non-alignement ? Ce n’est pas le cas du RN qui penche plutôt en faveur de la droite illibérale et qui ne semble pas disposé à dialoguer avec quiconque pense différemment.
La colonne vertébrale du gaullisme, c'est l'optimisme et l'union. Ce qui n'est pas le cas du RN
Dans son ouvrage C’était de Gaulle Alain Peyrefitte, ancien ministre du premier président de la V° République, explique que le général évoquait souvent le cas du Portugal. Une ancienne grande puissance qui a refusé d’évoluer, de vivre avec son temps. Un petit pays qui a choisi la voie du repli et a perdu son rang. C’est exactement ce à quoi aboutirait la mise en œuvre du programme RN…
Méritocratie et érudition contre népotisme et éléments de langage
Pour faire passer ses idées, Charles de Gaulle pouvait compter sur son charisme, son sens de la répartie, ses connaissances de l’Histoire de France à laquelle il a pris part. Ce n’est pas le cas de Marine Le Pen qui s’exprime par des éléments de langage, sans forcément maîtriser ses dossiers, qui coupe la parole à ses interlocuteurs et fait davantage preuve de fébrilité que de leadership. Le débat du second tour en 2017 l’a bien montré.
Le gaullisme c’est aussi une méritocratie dans laquelle croire en "une certaine idée de la France" et tout faire pour la faire triompher est la condition sine qua non pour obtenir des postes à responsabilité. Georges Pompidou en est la preuve. Entré au service du Général en qualité de simple "Normalien qui sait écrire", il fait ses preuves jusqu’à devenir premier ministre puis président de la République. Le général a privilégié les talents et l’audace à ce qu’il appelait dédaigneusement le "grenouillage".
Rien de tel chez les frontistes, véritable PME familiale dont l’organigramme a toujours ressemblé au jeu des sept familles. Père, fille, nièce, conjoints, garde du corps… se sont traditionnellement partagé "le fromage". Et tant pis pour les têtes qui dépassent. Celles-ci sont méthodiquement coupées.
Les Français ne sont pas dupes
Si le général a toujours parlé à l’intelligence des Français, ce n’est pas le cas du RN. En tentant une OPA sur les idées gaullistes, l’extrême droite prend nos concitoyens pour des personnes dénuées de raison. Hélas pour les populistes, les Français sont plus intelligents qu’ils ne le pensent et ne mordent pas à l’hameçon. La preuve, les descendants des valeureux marins de l’ile de Sein ont la ferme intention de ne pas accorder une seule minute à Marine Le Pen qui espére s’approprier leur histoire à des fins bassement électorales.
Lucas Jakubowicz