LGBT, un vote convoité
Jeudi 30 septembre. A Montgeron, dans l'Essonne, un jeune est passé à tabac par une dizaine d'autres. Son tort ? Etre homosexuel ou supposé tel. Très rapidement, la vidéo de l'agression fuite sur les réseaux sociaux et la presse s'empare de l'affaire. La classe politique aussi. Embarassée aux entournures, une partie de la nouvelle gauche intersectionnelle reste muette. Difficile de choisir qui défendre entre des jeunes "racisés" (pour reprendre leurs termes) et une personne tabassée pour son orientation sexuelle.
Inversement, l'extrême droite fait feu de tout bois pour se positionner comme protectrice de la communautée LGBT sacrifiée sur l'autel du vivre ensemble. Une posture qui confrorte sa thèse sur les dangers d'un grand remplacement et d'une insécurité galopante. Mais qui semble payer dans les urnes.
Car c'est une particularité peu connue du grand public : les Français se déclarant homosexuels sont de plus en plus nombreux à céder aux sirènes de l’extrême droite. En 2015, un peu avant les élections régionales, le Cevipof a mis en avant une donnée frappante : cette frange de l’électorat penche en grande partie vers l’extrême droite : 32,45%, soit à peine moins que tous les partis de gauche réunis (34,65%).
Le RN se positionne peu à peu comme le protecteur des LGBT. Une posture qui semble rencontrer un certain écho.
Homo-nationalisme
Dans l’Hexagone, ce mouvement de fond a commencé il y a un peu moins de dix ans et une personnalité politique y joue un rôle central : Marine Le Pen. Lorsqu’elle prend la tête du FN en janvier 2011, celle qui est aujourd’hui députée du Pas-de-Calais veut dédiaboliser le parti en le purgeant, notamment, de la vieille garde ouvertement homophobe.
Très rapidement, le discours frontiste change du tout au tout. Marine Le Pen se pose en protectrice d’une communauté pourtant historiquement ancrée à gauche. Sa recette ? Clamer que l’islam est un danger pour les gays et les lesbiennes. "Électoralement, c’est une stratégie qui fait sens", souligne François Kraus, directeur du pôle politique de l’Ifop qui a réalisé plusieurs études sur le vote des LGBT "Pour de plus en plus d’homosexuels, la religion musulmane est perçue comme une menace pour leur sécurité, leur mode de vie. Certains ressentent une homophobie latente de la part des immigrés d’Afrique du Nord et de leur descendance." La technique utilisée par Marine Le Pen n’est pas propre à l’extrême droite française. Selon Jean-Luc Romero-Michel, militant historique pour les droits des homosexuels, ancien membre de l’UMP, désormais adjoint à la mairie de Paris, "Le RN adopte avec un peu de retard une stratégie homo-nationaliste utilisée avec succès par les partis de droite populiste autrichiens et hollandais dont les fondateurs Pim Fortuyn et Jorg Haider étaient par ailleurs gays". L’AFD allemande, qui compte parmi ses idéologues Alice Weidel, ouvertement lesbienne, a également joué avec succès la carte du péril que les migrants faisaient peser sur la communauté gay d’outre-Rhin.
"Pour beaucoup d'homosexuels, l'islam est perçu comme un danger. L'extrême droite s'est engouffrée dans la brèche"
L’épisode Manif pour tous a également permis à la droite de la droite de marquer des points dans cet électorat. Si une minorité, menée par Marion Maréchal ou l’ancien patron du FNJ Julien Rochedy, a défilé à côté des opposants à la loi Taubira, la majorité du parti, Marine Le Pen en tête est restée prudemment silencieuse. Quoi de plus normal, puisqu’elle a intégré dans son cercle rapproché de nombreuses personnalités assumant leur homosexualité telles que Florian Philippot qui fut son bras droit jusqu’en 2017 ou encore Bruno Bilde et Sébastien Chenu désormais députés. Citons également Julien Odoul, conseiller régional, connu pour avoir posé dénudé dans plusieurs revues gays. La stratégie s’avère payante dans les urnes puisque, selon l’Ifop, à quelques semaines des élections européennes de 2019, la liste RN menée par Jordan Bardella était créditée de 22% des voix chez les LGBT de l’Hexagone, un score dans la moyenne nationale avec toutefois un sur-vote chez les électeurs se définissant comme bisexuels.
La droite classique aux abonnés absents
Du côté de la droite plus traditionnelle, les choses sont très différentes. RPR, UMP et désormais LR "se placent toujours du côté des positions de l’église catholique et de la frange conservatrice de la société", relève François Kraus. Et ce ne sont pas les leaders actuels tels que François-Xavier Bellamy ou Bruno Retailleau qui feront changer les choses… "Que ce soit sur le Pacs ou le mariage pour tous, la droite de gouvernement a toujours été du côté le plus réactionnaire", déplore Jean-Luc Romero-Michel qui précise que c’est "dans cette famille politique que les propos les plus homophobes sont tenus, que ce soit Christian Vanneste, Christine Boutin voire Laurent Wauquiez. Le tout sans condamnation des instances du parti."
"Que ce soit sur le Pacs ou le mariage pour tous, la droite traditionnelle s'est toujours placée du côté le plus réactionnaire"
Aujourd’hui encore, selon Jean-Luc Romero-Michel pourtant ancien membre de l’UMP, "Les Républicains se désintéressent totalement de la question des droits des LGBT, il n’y a même pas de commission de réflexion sur le sujet". Dans les urnes, cela se paie cash. Le dernier sondage en date sur le sujet, celui réalisé par l’Ifop aux européennes montre ainsi que cette partie de l’électorat vote LR 4 points en dessous de la moyenne nationale.
La gauche recule mais résiste
Attention toutefois à ne pas verser dans la caricature. Si le RN est en pleine ascension dans cette frange de la population, la communauté LGBT reste globalement ancrée à gauche. "Certes, nous sommes présents sur tout le territoire et dans toutes les classes sociales, mais nous sommes surreprésentés dans les grandes métropoles qui sont bien souvent à gauche", note Jean-Luc Romero-Michel. "Soulignons également que les homosexuels se sont historiquement construits en terme de minorité, mènent historiquement des combats pour l’égalité de tous les droits ce qui leur donnent un ethos de gauche", complète François Kraus.
"L'électorat LGBT est surreprésenté dans les grandes métropoles, presque toutes de gauche"
Logiquement, c’est donc la gauche qui a le plus fait pour les droits des homosexuels, qu’il s’agisse du Pacs ou du mariage pour tous. Et pourtant, elle n’est pas récompensée dans les urnes et ne cesse de perdre des "parts de marché" dans un électorat qui aurait dû se montrer reconnaissant. Comment expliquer ce paradoxe ?
François Kraus évoque une piste : "Certains pensaient que la gauche irait plus loin et sont déçus, d’autres estiment qu’ils ont suffisamment de droits et axent leur vote sur d’autres sujets". Un avis partagé par Jean-Luc Roméro-Michel qui affirme qu’aujourd’hui, "Les LGBT sont intégrés à la société, le temps des chasses aux pédés dans les boîtes de nuit, que j’ai connu, est heureusement révolu. Même si un candidat homophobe révulsera la communauté, la question de la pratique sexuelle n’est plus centrale dans le vote en France". Une autre raison, peut-être plus polémique, est à mentionner. Au cœur du logiciel de la gauche française, se trouve le concept d’intersectionnalité des luttes. En théorie, les choses sont simples : la gauche soutient toutes les minorités, qu’elles soient religieuses, ethniques et sexuelles. Dans la pratique, l’équilibre est délicat. En donnant des garanties aux homosexuels, la gauche se met à dos une partie des classes populaires souvent conservatrice sur le plan des mœurs, ce qui électoralement peut s’avérer "peu rentable". Ainsi, après le vote de la loi Taubira et la mise en place des ABCD de l’égalité dans les écoles, la gauche a perdu de nombreux fiefs de la banlieue parisienne face à une droite se clamant protectrice de la famille traditionnelle. Les projets d’adoption ou de PMA sont donc restés dans les tiroirs… Une trahison possible pour l’électorat gay qui, même déçu, a d’autres solutions de repli que l’extrême droite.
Un électorat en marche ?
Si La République en Marche est un mouvement récent, il présente de nombreux atouts pour attirer l’électorat gay et pourrait potentiellement devenir le premier parti de France dans la communauté, analyse François Kraus qui évoque "le progressisme sur les questions sociétales, le libéralisme économique, et la présence d'homosexuels assumés parmi les dirigeants marcheurs". Le sondeur évoque également la personnalité d’Emmanuel Macron dont "le statut marital transgressif a été un stigmate, ce qui parle à un électorat qui subit, encore aujourd’hui un certain nombre de préjugés".
Lucas Jakubowicz