Malgré des divergences idéologiques importantes, des querelles de personnes et des rancœurs, le parti socialiste n’a toujours pas explosé. Du moins sur le papier. Car dans les faits, LFI et le macronisme sont nés de schismes au sein du parti à la rose...

Avec la sortie en salle d’Astérix et Obélix l’Empire du milieu, les Gaulois reviennent à la mode en ce mois de février. Pourtant, dans les semaines qui ont précédé la sortie du film de Guillaume Canet, le parti socialiste a préparé le terrain en s’inspirant ouvertement de deux épisodes qui reviennent régulièrement dans les aventures du petit village qui résiste encore et toujours à l’envahisseur : la bagarre collective puis le banquet de réconciliation.

Un petit village gaulois

La bagarre collective ? Elle commence dans la nuit du jeudi 19 au vendredi 20 janvier lors du second tour visant à départager Olivier Faure et Nicolas Mayer-Rossignol, tous deux candidats au poste de premier secrétaire d’un parti moribond : nombre de militants en déclin, perte du leadership à gauche… Le sortant pro-Nupes et son rival, plus réservé sur le sujet, proclament tous les deux leur victoire alors que les 23 000 bulletins n’ont pas tous été dépouillés. Les deux camps s’accusent de fraude, de trumpisme, de fake news devant la France entière. Pour trancher la controverse une commission de récolement puis un huissier de justice se mettent au travail. Verdict, Olivier Faure l’emporte d’une courte tête – 51,09 % – malgré les contestations de l’opposition interne. Selon le codex du parti, tout se jouera lors du congrès prévu à Marseille du 27 au 29 janvier.

Rien de nouveau sous le soleil

À la vue de ces tensions, certains observateurs de la vie politique prévoyaient un PS au bord de la rupture et estimaient plausible la création de deux mouvements à l’issue du rassemblement phocéen. C’est mal connaître l’histoire du socialisme français habitué aux moments houleux lors des congrès. "Il n’y a rien de nouveau sous le soleil", estime Gaspard Gantzer, auteur de l’essai Êtes-vous encore de gauche ? Dans les coulisses de la chute du PS. Selon celui qui eut notamment la charge de la communication de François Hollande à l’Élysée dans la seconde partie de son quinquennat, "se déchirer et laver le linge sale en public est dans la culture du socialisme tricolore". Il en serait de même concernant la fraude électorale que le communicant qualifie avec malice de "fraude équitable puisque chaque camp agit avec les mêmes méthodes". Ce qui s’est vérifié lors du duel entre Olivier Faure et Nicolas Mayer-Rossignol. L’huissier de justice et la commission de récolement ont ainsi retiré 58 voix à Olivier Faure et 176 à son rival. La spécialité des deux candidats ? Mettre des bulletins dans l’urne avant l’arrivée des scrutateurs… Reste l’essentiel : "Les rivaux finissent toujours par se retrouver, par trouver un accord. Finalement, les conflits sont une sorte de catharsis qui permet d’aller de l’avant. Tout est codé et les protagonistes savent quand s’arrêter", analyse Gaspard Gantzer qui se remémore les conflits Mitterrand-Rocard, Jospin-Fabius mais aussi le très tendu congrès de Reims où le duel Aubry-Royal fut aussi serré que sanglant. Mais, à chaque fois, le parti est resté uni derrière le chef.

"Se déchirer en public pour mieux se reconcilier fait partie des traditions socialistes"

Le schisme ? Il a déjà eu lieu !

Avec un score de 6,2 % et de 1,7 % aux dernières élections présidentielles, le parti ressemble de plus en plus à un fort assiégé et vidé de ses forces vives. Car plusieurs schismes ont déjà eu lieu. En quittant le PS après le congrès de Reims pour fonder le parti de gauche puis LFI, Jean-Luc Mélenchon a peu à peu regroupé sous son panache l’aile la plus à gauche du PS. Surtout, il attire vers lui de nombreux jeunes désireux d’accéder aux responsabilités. D’autres profils ont également suivi Benoît Hamon lors du lancement de Génération.s. Un bide retentissant qui a toutefois permis à certains anciens socialistes d’accéder aux responsabilités sous d’autres couleurs, à l’image du député EELV des Yvelines Benjamin Lucas, ancien président du MJS. Du côté de l’aile droite, strauss-kahniens et vallsistes ont depuis 2017 progressivement quitté la maison rose pour rejoindre Emmanuel Macron dans son aventure. Soit directement à bord du navire amiral LREM rebaptisé Renaissance. Soit dans le petit remorqueur Territoires de Progrès qui peine à trouver ses marques. Les socialistes mécontents ont compris qu’ils n’avaient rien à gagner à faire sécession. C’est donc logiquement que, depuis les dernières élections internes, aucun opposant à la ligne Faure n’a menacé de quitter la vieille maison pour fonder une structure ailleurs. Leur stratégie ? Peser à l’intérieur du parti. Une mission plus que réussie puisque "Nupeso-sceptiques" et "anti-Nupes" peuvent se féliciter d’une véritable victoire lors du congrès de Marseille. Au-delà, d’un courant, ils sont parvenus à modifier la gouvernance du parti.

"D'une certaine façon, Olivier Faure est mis sous tutelle"

Olivier Faure sous surveillance

"Oui, Olivier Faure reste en place, mais c’est une victoire à la Pyrrhus, voire une mise sous tutelle", juge Gaspard Gantzer, fin connaisseur des arrière-cuisines du parti à la rose. Car, désormais, le voici affublé de deux "premiers secrétaire délégués" : la maire de Nantes Johanna Rolland, attachée à la Nupes, mais aussi son premier opposant, Nicolas Mayer-Rossignol. Pour couronner le tout, Hélène Geoffroy, résolument hostile à la Nupes, prend le contrôle du conseil national, influent parlement du parti. Une solution "win-win". Du côté des fauristes, on peut se réjouir de garder la face et de conserver le poste le plus important de l’appareil. Mais l’opposition interne a beau jeu de relativiser la victoire du sortant et clamer qu’elle a remporté la bataille idéologique. Ainsi, selon le maire de Montpellier Michaël Delafosse, la fonction de premier secrétaire n’est plus "qu’une simple formule juridique". Hélène Geoffroy se félicite pour sa part que "la gouvernance interne ait complètement changé" et que sa ligne possède "un rôle pivot dans l’exécutif". Même son de cloche pour Nicolas Mayer-Rossignol qui évoque "un rapport de force inversé ou en passe de l’être dans de nombreuses instances". "Il y a quatre mois, une grande partie de la direction sortante ne jurait que par la Nupes. À l’issue du congrès, le terme ne figure nulle part dans l’accord", ne manque pas de souligner celui qui apparaît comme le grand vainqueur de la séquence.

PS2

Nicolas Mayer-Rossignol, le Sandrine Rousseau du PS

Selon Gaspard Gantzer, le second du scrutin est "une personnalité qui semble se détacher du lot et prendre date pour les années à venir. C’est un homme d’idées, doté d’une forte exigence intellectuelle." Le communicant observe que le maire de Rouen comporte quelques similitudes avec Sandrine Rousseau. "Tous deux sont partis dans une position d’outsider et, contre toute attente, ont perdu l’élection de peu. Malgré la défaite, leurs idées se sont imposées dans le parti et ils suscitent un véritable intérêt médiatique qui permet de faire avancer leur agenda." Pour la députée de Paris, l’objectif est de déporter EELV vers plus de radicalisme et d’intersectionnalité des luttes. Du côté du maire de Rouen, l’objectif est inverse : revenir à plus de social-démocratie et jouer la carte collective. La scène de clôture du congrès de Marseille avait un petit air de banquet gaulois. À un détail près : les participants agitaient des roses et non des cuisses de sanglier.

Lucas Jakubowicz

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