En direct de Nouméa, le président de la République s’est engoncé dans une prise de parole peu habile : aucune annonce concrète et des "munitions" données gratuitement à l’opposition qui n’en demandait pas tant.
Emmanuel Macron : une interview pour rien ?
C’est une règle d’or en communication. Une prise de parole doit donner lieu à un message clair et à des annonces fortes. En direct de Nouméa le 24 juillet, Emmanuel Macron n’a pas respecté cette loi d’airain spécialement applicable à un chef d’État dont la parole doit être rare pour peser.
Certes, le président de la République était dans "l’obligation" de s’exprimer. Lui-même et ses prédécesseurs ont pris l’habitude de parler aux Français à l’occasion de la fête nationale ou d’un remaniement. Emmanuel Macron, dans sa précédente allocution, avait fixé un délai de 100 jours à l’issue duquel il devait rendre des comptes et fixer un cap.
Peu d’annonces
Mais Emmanuel Macron n’a pas fait d’annonces concrètes et s’est contenté de reprendre des éléments déjà égrainés lors de ses précédentes prises de parole : la réindustrialisation se poursuit, la planification écologique se déploie, l’investissement dans le régalien continue. Au quotidien, l’exécutif parvient à trouver des "majorités d’échange". En somme, rien de nouveau sous le soleil.
De précieuses minutes de parole présidentielle ont été perdues pour exprimer des phrases, convenons-en, d’une certaine platitude. Parmi elles : "Il nous faut réduire nos émissions de gaz à effet de serre, être plus protecteur de la biodiversité, et le faire en renforçant l’indépendance de la France et en créant des emplois". Qui pourrait s’opposer à ce truisme ?
Les quelques annonces dévoilées durant le gros quart d’heure d’interview peuvent parfois prêter à sourire. Ce fut le cas lorsqu’il a promis la présence "d’un professeur devant chaque classe à la rentrée". Quoi de plus logique ? Quel drôle de pays que celui dans lequel un président doit formuler cette promesse... Le président de la République s’est attardé sur des sujets habituellement du ressort de ministres, voire de secrétaires d’État à l’instar de Nicolas Sarkozy ou François Hollande dont il voulait pourtant se démarquer. Le cas le plus flagrant est sans doute le passage sur le réchauffement climatique qui a donné lieu à un éloge des "dispositifs d’alerte de Météo France" ou un appel à chacun à "faire sa part pour réduire le risque de sécheresse".
Donner le bâton pour se faire battre
Traditionnellement, l’opposition se saisit de chaque phrase d’un discours présidentiel pour formuler des critiques plus ou moins pertinentes. Emmanuel Macron a réalisé un "combo" en agitant tous les chiffons rouges. La Nupes fait ainsi ses choux gras de "l’ordre, l’ordre, l’ordre". De même, prôner le "retour de l’autorité", "la responsabilisation de certaines familles" ou envisager un "ordre public du numérique qui permette d’éviter les débordements" ont braqué LFI, PS, EELV et PCF qui retrouvent subitement leur unité. Ces partis reprochent également à l’hôte de l’Élysée d’avoir rendu hommage aux forces de l’ordre sans prononcer le prénom de Nahel. Après tout, l’objectif était peut-être de séduire l’aile droite de l’électorat.
Pourtant, là aussi le Président s’est fendu de quelques saillies qui ont fait bondir LR, le RN et Reconquête. Une phrase a notamment mis le feu aux poudres, celle dans laquelle il évoque "un besoin de revoir notre politique de répartition des difficultés". En somme, pour la droite il s’agit d’installer des cités et des personnes issues de l’immigration dans les campagnes. Désormais, ce bord politique pourra jouer sur du velours en promettant de tout faire pour que la Lozère ne devienne pas la Seine-Saint-Denis.
De même, en se félicitant de la manière dont les émeutes du début de mois ont été gérées, Emmanuel Macron s’est attiré les foudres de la droite rappelant que les destructions sont plus importantes que lors des émeutes de 2005.
En voulant respecter une tradition républicaine, le Président a ravivé les colères, lui qui il y a 100 jours prônait l’apaisement. Dans certains cas de figure, le silence est parfois préférable. Une théorie formulée en 2017 par… un certain Emmanuel Macron, alors chantre de la parole rare.
Lucas Jakubowicz