Le gouvernement de Gabriel Attal fait la part belle aux ministres natifs d’Île-de-France. Pour la première fois de l’Histoire, leur taux atteint 50 %. Reste à savoir comment interpréter cette donnée.

C’est la députée écologiste de la Drôme Marie Pochon qui a rendu public le chiffre sur son compte Instagram : 50 % des ministres actuellement en poste sont nés en Île-de-France et "la moyenne de distance des lieux de naissance des ministres du gouvernement Attal de Paris est de 17 kilomètres". Ces données, revérifiées par Décideurs Magazine sont vraies. Pour la députée élue dans l’une des circonscriptions les plus étendues de l’Hexagone et qui défend au quotidien les territoires ruraux, c’est une mauvaise chose. Mais est-ce si grave ? Un ministre né à Paris ou en petite couronne est-il forcément déconnecté du reste du pays ? Du reste, la proportion de "Parisiens" dans l’actuel exécutif est-elle beaucoup plus élevée que d’habitude ?

"Gouvernement de Parisiens", la rupture Macron ?

Traditionnellement, la composition d’un gouvernement est un travail d’alchimiste prenant en compte de nombreux paramètres : compétence, postes pour les jeunes loups ou les vieux renards, quotas de maroquins réservés aux différents courants du parti au pouvoir et aux petits mouvements alliés, prise en compte de la société civile, parité... Et bien entendu le respect d’une tradition consistant à représenter toutes les régions du pays.

Si l’on prend en compte la composition des exécutifs depuis le début du siècle, la province, ou les territoires, terme jargonnant désormais en vigueur, a toujours été mise à l’honneur. Durant les présidences de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, chaque Premier ministre s’entourait d’une équipe dont le taux de Franciliens était compris entre 27 % (pour le gouvernement Jospin) et 38 % (pour le gouvernement Villepin).

En 2017, le nouveau monde incarné par Macron s’inscrit dans cette logique. Le premier gouvernement d’Édouard Philippe compte 36 % de ministres ayant vu le jour en Île-de-France. Certes, plusieurs ministres sont nés à Paris et ne revendiquent aucune expérience d’élu. C’est le cas de Mounir Mahjoubi, Jean-Michel Blanquer, Agnès Buzyn, Muriel Pénicaud ou Élisabeth Borne. Ils sont toutefois entourés d’édiles bien implantés tels que Gérard Collomb maire de Lyon 16 années durant, ou Jean-Yves Le Drian, maire de Lorient pendant 16 ans, député, membre puis président du conseil régional de Bretagne. Le Président s’entoure également de jeunes espoirs venus de la droite tels Gérald Darmanin ou Sébastien Lecornu qui ont fait leurs premières armes dans les collectivités locales.

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La faute au non-cumul des mandats

À partir de la nomination de Jean Castex en juillet 2020, le nombre de "Parisiens" augmente régulièrement : 40,4 % dans le gouvernement Castex I, 46 % dans le gouvernement Borne I en 2022 puis 50 % dans le gouvernement Attal qui, à l’heure où ces lignes sont publiées, ne compte pas encore de secrétaires d’État.

Cette hausse progressive ne s’explique pas forcément par la volonté d’Emmanuel Macron. Le "coupable" est plutôt la loi sur le non-cumul des mandats du 14 février 2014 entrée en vigueur en 2017. Elle interdit de cumuler mandats locaux et nationaux. Les gouvernements ne peuvent plus compter sur des profils de députés-maires, de sénateurs-présidents de conseils régionaux, ce qui fait baisser le "vivier" de provinciaux. Renouvellement générationnel oblige, les nouveaux ministres sont donc plus souvent des cadres supérieurs venus de la société civile, catégorie où la proportion de Parisiens est plus élevée. Par ailleurs, prenons garde à un piège : être un "Parisien" n’est pas forcément être déconnecté des citoyens.

Un "Parisien" n'est pas forcément déconnecté de la population

Mais au fait, qu’est-ce qu’un "Parisien" ?

Ainsi, certains ministres comptabilisés comme nés dans la capitale sont en réalité implantés de longue date en province. À droite, des personnalités comme Gérard Longuet, Bruno Le Maire, François Baroin ou Jean-Louis Borloo sont natives de Paris ou Neuilly-sur-Seine mais sont élues dans la Meuse, l’Eure, l’Aube ou le Nord. Même tendance à gauche. Martine Aubry, Delphine Batho, Laurent Fabius ou Pierre Moscovici ont tous vu le jour à l’intérieur du périphérique. Mais qui pourrait leur renier leur implantation à Lille, dans les Deux-Sèvres, en Normandie ou en Franche-Comté ?

C’est peut-être l’absence d’élus locaux plus que de natifs de régions autres que l’Île-de-France qui risque d’éloigner du terrain un gouvernement. Du reste, de nombreux membres de gouvernement issus de la région parisienne sont élus depuis des années et connaissent profondément leur territoire. À droite, qui pourrait qualifier Patrick Devedjian député, maire, président de conseil départemental de déconnecté ? Lionel Jospin était entouré de personnalités telles que Marie-George Buffet, Alain Richard ou Daniel Vaillant nés en Île-de-France et élus en banlieue parisienne. Tous avaient une connaissance intime de leurs administrés.

Autre point important à mentionner, le fait d’avoir un gouvernement composé de peu de Parisiens et de beaucoup d’élus provinciaux n’est pas forcément le gage d’une grande popularité. Le gouvernement de Manuel Valls n’a pas brillé par ses scores élevés dans les enquêtes d’opinion. Pourtant, il fut l’un des plus "terroir" avec de nombreux élus locaux influents comme Jean-Yves Le Drian, Carole Delga, Christiane Taubira, Stéphane Le Foll, Aurélie Filippetti, ou Silvia Pinel…

C'est surtout l'absence d'élus locaux dans un gouvernement qui risque d'éloigner du terrain

La paille et la poutre

En somme, pour un mouvement politique, le principal risque d’éloignement des préoccupations populaires n’est pas forcément le lieu de naissance de ses ministres ou de ses responsables comme les députés, mais plutôt la concentration des élus dans quelques territoires précis.

Sur ce plan-là, les écologistes français sont un cas d’école puisque sur les 23 députés composant le groupe parlementaire, 11 d’entre eux sont élus dans des circonscriptions de villes comptant plus de 100 000 habitants. Près d’un quart du groupe provient par ailleurs de Paris et Lyon, soit les deux plus grandes villes du pays. Plus largement, les dernières législatives ont montré que la gauche se rétracte sur les zones urbaines. Ainsi, 30 % des députés de la Nupes sont élus en Île-de-France, le taux atteignant même 40 % chez les Insoumis. Si "provincialiser" un gouvernement est assez aisé, la gauche française aura fort à faire pour se "désurbaniser" et se réconcilier avec les zones rurales. Un chantier que porte d’ailleurs la députée Marie Pochon.

Lucas Jakubowicz

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