La dissolution de l’Assemblée nationale ressemble à certains égards à la méthode de leaders économiques qui souhaitent rebattre les cartes estime dans cette tribune Camille Fumard, directrice conseil chez Jin et auteur de l’essai Le leader du XXIème siècle, la guerre ne fait que commencer.
Tribune. Dissolution, les trois dernières cartes du Président
En renvoyant les Français aux urnes, Emmanuel Macron appelle publiquement à la responsabilité collective. Ce boomerang rappelle sa filiation au philosophe Paul Ricoeur, filiation que l'historien et épistémologue François Dosse tentait déjà de décortiquer dès 2017 dans un essai "Le Philosophe et le président".
Ce coup de poker du 9 juin 2024, qui fait suite aux résultats des européennes, renvoie à l’éthique de la responsabilité jusqu'au-boutiste d’un "président philosophe". Le fait de prendre acte de l’incertitude et de confronter les Français à leur obligation d’assumer les conséquences d’un tel vote est d’un pragmatisme implacable.
Dans ce “hacking de l’agenda”, on peut constater que le président a conservé son ethos de leader économique. La notion de responsabilité est au cœur du monde des entreprises. C’est d’ailleurs tout récemment que le patron de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, menaçait de quitter le CAC 40 pour la bourse de New York. Un coup de poker lui aussi ? Non, tout simplement la dénonciation d’une Europe jugée comme axée sur la réglementation plutôt que sur la croissance.
Dans la même veine, Larry Fink, patron de BlackRock monde, soulignait au Figaro ce 8 juin : "[la France] doit continuer d’embrasser le capitalisme", et - en filigrane - prendre ses responsabilités, autrement dit : exercer efficience budgétaire et simplification des normes, notamment environnementales.
Le chaos sera-t-il destructeur ou moteur ?
Emmanuel Macron pour la première fois se serait inspiré de la communication des leaders économiques pour surprendre et abattre ses dernières cartes. Dans un monde dit "VUCA" (pour Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity), l’écrivain libano-américain, statisticien et spécialiste en volatilité, Nassim Nicholas Taleb explique que pour ne pas être la "dinde" aujourd’hui, il faut savoir tirer profit du chaos, de l’incertain et du hasard, voire le provoquer. On retrouve cette idée dans les caractéristiques du leader économique à la visée exponentielle, souvent très capitalistique, techno-solutionniste et déstabilisateur pour l’économie.
En prenant pour conseiller le risque, avec notamment une période de seulement vingt et un jours pour faire campagne (soit la fenêtre la plus courte pour la tenue du scrutin), Emmanuel Macron oblige les élus et les Français à faire des choix radicaux (coalitions, alliances, vote contestataire …). Chaos destructeur ou chaos moteur ? "Quoiqu’il en coûte", il tente d’inverser les rapports de force et reprend ses habits de "Président libéral économiste et financier" et de "Président philosophe" autour de trois verticales : accélération de la confrontation, renvoi à la responsabilisation et prise de risque ... allant jusqu'à potentiellement fragiliser l'économie.
*Camille Fumard est directrice conseil et conseillère spéciale auprès du Président du Groupe JIN. Auteur de l'essai Le leader du XXIe siècle. La guerre ne fait que commencer - Cent Mille Milliards