Pour combattre l’antisémitisme en ligne, certains activistes ne ménagent pas leur peine. Ils identifient ceux qui pensent agir de façon anonyme, saisissent la justice et interpellent leurs employeurs. Une méthode qui fait ses preuves.

Les chiffres sont connus, donnent le vertige et doivent être rappelés sans cesse. D’après le ministère de l’Intérieur, dans le mois qui a suivi le 7 octobre, 1 040 actes antisémites ont été recensés, soit une moyenne de 37 par jour et de 1,5 par heure. Autre donnée, sur le premier trimestre 2024, les actes antisémites sont en hausse de 300 % par rapport au premier trimestre 2023. Pourtant, les chiffres sont sous-évalués car tous ne font pas l’objet de plaintes. C’est notamment le cas de messages publiés sur les réseaux sociaux par des profils anonymes. Dans le "meilleur des cas", ils prennent position publiquement, dans le "pire" ils cyberharcèlent des individus considérés comme juifs. Ces flots de messages contribuent à un antisémitisme d’atmosphère, terme utilisé dans un rapport du Sénat publié cet été. Comment lutter ? Un compte X anonyme baptisé Sword of Salomon a trouvé la solution et fait de plus en plus parler de lui. Il se livre pour la première fois à Décideurs Magazine.

Juriste anonyme

Volubile, précis et passionné, l’homme tient à rester anonyme à la demande de son entourage qui considère "qu’il n’est pas anodin et sans risque de s’opposer frontalement aux antisémites de tous bords". L’activiste exerce une profession juridique et est présent sur Twitter (devenu X) depuis de longues années. "À l’origine, je postais essentiellement sur le football, mais le déferlement de haine qui s’est mis en branle depuis le 7 octobre m’a poussé à m’engager."

Sword of Salomon insiste, il ne se définit pas comme le défenseur d’une communauté particulière : "Lorsque j’agis, je le fais au service de la France. À partir du moment où les membres supposés d’une religion sont l’objet d’autant d’attaques, notre pays n’est plus lui-même et devient méconnaissable. Il est nécessaire de faire front."

Name and Shame

L’immense majorité des agresseurs opère sous couvert d’anonymat et se pense intouchable. "Erreur", pointe Sword of Salomon puisque, "grâce aux données en libre accès sur internet, aux réseaux sociaux et à l’open intelligence, tout le monde est facilement identifiable". Il s’appuie sur le collectif Tolérance zéro qui l’aide dans sa traque. Une fois le profil connu, les personnes visées peuvent tout à fait porter plainte mais les démarches sont longues, fastidieuses, coûteuses et une sanction judiciaire n’a pas forcément d’impact sur le quotidien du condamné. C’est pourquoi, le justicier anonyme prône le name & shame.

"Les entreprises sont sensibles aux alertes et une soixantaine de licenciements ont déjà eu lieu"

En fonction du profil de l’internaute, Sword of Salomon envoie les captures d’écran des messages aux employeurs, aux investisseurs, aux sponsors, à l’administration concernée et propose le deal suivant: "Débarrassez-vous de cette personne au plus vite ou je rends publics les messages en expliquant que cette personne fait partie de votre structure et que, malgré les alertes, vous avez choisi l’inaction". Une méthode efficace? "Oui, les résultats sont concrets", se réjouit Sword of Salomon : "Nous avons obtenu une soixantaine de licenciements, de nombreux partenaires commerciaux se sont retirés de sociétés dirigées par des antisémites ou des soutiens du Hamas. Nous menons également un travail d’enquête sur le financement du terrorisme et avons fait bloquer des cagnottes ayant récolté des dizaines de milliers d’euros."

Précisons toutefois qu’il ne néglige pas non plus l’action en justice "classique". "Il faut reconnaître que la justice française prend la question de l’antisémitisme à bras-le-corps. Nous avons obtenu des condamnations, y compris des peines de prison ferme", se félicite l’administrateur du compte X.

La peur change de camp

Le travail Décideurs Magazinede cet activiste d’un genre nouveau ne se centre pas uniquement sur les messages anonymes. Il alerte, relaie et donne une caisse de résonance à des actes antisémites réalisés "IRL" (in real life). Grâce à lui, l’identité d’un homme ayant agressé un vieil homme dans un bus à Paris a été médiatisée tout comme celle d’une automobiliste qui a insulté et menacé les participants à un mariage juif sur le parvis d’une mairie d’arrondissement parisien.

Avec environ 17 000 followers, Sword of Salomon commence à être influent. À cela s’ajoutent d’autres comptes tel Jugé coupable, mais aussi des associations comme Nous Vivrons, Golem ou No Silence qui sensibilisent et alertent sur les dérives antisémites. Grâce à ce travail collectif, les propos parfois masqués sous le terme d’antisionisme sont documentés, identifiés, médiatisés et souvent sanctionnés.

"Notre réponse est forte, la peur change de camp et les antisémites anonymes comprennent qu’ils ne sont pas à l’abri, cela commence à se savoir parmi eux", observe le juriste. Accessoirement, cela donne de la force à beaucoup de Juifs de France qui constatent que les attaques antisémites peuvent avoir des conséquences pour leurs auteurs.

90% des personnes condamnées sont proches de l'extrême gauche et relaient les propos de responsables LFI

Profil des agresseurs

Depuis des mois, Sword of Salomon met les mains dans le cambouis, ce qui lui permet de brosser une cartographie de l’antisémitisme en ligne. Premier enseignement, tous les métiers sont concernés. Ingénieurs, universitaires, avocats, hôtes d’accueil voire agents de la fonction publique ont été épinglés.

Un second point doit absolument être mis en avant : le temps où l’antisémitisme était l’apanage de l’extrême droite est révolu. "90 % des personnes identifiées sont proches de l’extrême gauche", constate l’administrateur du compte. Leurs profils, en plus de messages haineux, likent et partagent les posts et les propos de nombreux responsables LFI parmi lesquels Jean-Luc Mélenchon, Rima Hassan, David Guiraud, Thomas Portes, Aymeric Caron, Ersilia Soudais, Sébastien Delogu ou Louis Boyard. Si ces derniers se défendent de tout antisémitisme, force est de constater que les cyberharceleurs ciblant les "youpins", les "dragons célestes", les "sionistes génocidaires", les "feujs de merde" ou les "instrumentalisateurs de Shoah" leur vouent une grande estime…

Lucas Jakubowicz

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