La notion de « salarié mis à disposition » continue, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008, à donner lieu à une jurisprudence complexe. Celle-ci apparaît notamment renforcer les respoabilités de la société utilisatrice.

La notion de « salarié mis à disposition » continue, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008, à donner lieu à une jurisprudence complexe. Celle-ci apparaît notamment renforcer les responsabilités de la société utilisatrice. Mais de nombreuses questions restent en suspens et les contentieux électoraux se multiplient.



En modifiant voici dix ans (Cass. soc. 28 mars 2000) la notion de mise à disposition pour l'élargir au-delà des seuls salariés placés sous la subordination de l'entreprise utilisatrice, la Cour de cassation n'avait sans doute pas anticipé le « contentieux inextinguible » qui allait en découler. Et la loi du 20 août 2008 n’a pas permis de mettre un terme aux litiges comme en attestent les jugements et arrêts déjà rendus en la matière.

 
RESPONSABILITE DE LA SOCIETE UTILISATRICE


Il appartient à l’entreprise utilisatrice, dans le cadre de sa négociation préélectorale, puis le cas échéant devant le juge, de fournir les éléments nécessaires au contrôle de l'effectif et de la liste électorale. Mais jusqu’où va cette obligation pour les salariés « mis à disposition » ?
La circulaire DGT n° 20 du 13 novembre 2008 avait préconisé d’interroger, par écrit, les entreprises prestataires.
Deux décisions des tribunaux d'instance de Versailles (30 juin 2009) et d'Asnières (15 mars 2010) ont cependant annulé les élections d'une entreprise qui s'y était fiée au motif qu'« en faisant reposer sur les entreprises prestataires le pouvoir de comptabiliser les effectifs, la circulaire du 13 novembre 2008 déroge aux dispositions légales ». Un tout récent arrêt de la Cour de cassation (Cass; soc. 26 mai 2010, n° P 09-60.400) s'inscrit dans cette logique en affirmant « qu'il appartient à l'employeur responsable de l'organisation de l'élection de fournir aux organisations syndicales les éléments nécessaires au contrôle des effectifs et de l'électorat et que s'agissant des salariés mis à disposition il doit, sans se borner à interroger les entreprises extérieures, fournir aux organisations syndicales les éléments dont il dispose ou dont il peut demander judiciairement la production par ces entreprises ».
L’entreprise utilisatrice doit donc, en pratique, prendre en considération cette contrainte supplémentaire, notamment pour établir son calendrier électoral.


DECOMPTE DES EFFECTIFS

L'article L.1111-2 du Code du travail pose deux critères nouveaux en disposant que « les salariés mis à disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure qui sont présents dans les locaux de l'entreprise utilisatrice et y travaillent depuis au moins un an (…) sont pris en compte dans l'effectif de l'entreprise » utilisatrice « à due proportion de leur temps de présence au cours des douze mois précédents » sauf « lorsqu'ils remplacent un salarié absent ou dont le contrat de travail est suspendu ».

Le critère de présence dans les locaux permet d'exclure les salariés ex situ (sous-traitants externes, salariés intervenants sur des chantiers extérieurs à l'employeur et à l'entreprise utilisatrice) ainsi qu’a priori, les salariés itinérants, sans lieu de travail fixe ou les télétravailleurs. Cela correspond au critère jurisprudentiel des «  intérêts communs nés de conditions de travail en partie communes ». C'est d'ailleurs la solution qu'a retenue le ribunal d'instance de Versailles le 30 juin 2009 « désormais (…) seuls les salariés mis à disposition présents dans les locaux de l'entreprise sont comptabilisés dans les effectifs ».
La Cour de cassation a fait preuve de pragmatisme en tranchant le 14 avril 2010 la délicate question du décompte de salariés qui ne travaillent que très partiellement dans les locaux de l’entreprise utilisatrice et qui peuvent, en pratique, opérer dans plusieurs entreprises différentes au cours d’une même journée. L'arrêt les a ainsi purement et simplement exclus du décompte, dès lors qu'ils n’étaient pas mis à la disposition exclusive de la société mais travaillaient indifféremment pour plusieurs transporteurs et ne se rendaient que ponctuellement dans les locaux de cette société, reprenant expressément le critère d’intégration étroite et permanente dans l’entreprise d’accueil retenu par la jurisprudence antérieure à la loi précitée du 20 août 2008(1).
La nécessité de travailler dans l'entreprise utilisatrice depuis au moins un an impose-t-elle une activité continue ? Aucune exigence de continuité ne figure dans la loi alors qu’elle l’a expressément prévue pour apprécier l’électorat et l’éligibilité. Cela peut donc conduire à remonter très loin dans le temps, avec une fiabilité de plus en plus réduite.

Notons enfin que des salariés peuvent être décomptés dans les effectifs et donc entraîner une augmentation du nombre des sièges, ou une modification de leur répartition entre les collèges(2), alors même qu’ils ne voteront pas dans cette entreprise.


ELECTORAT ET ELIGIBILITE

Pour être électeur et éligible, il faut satisfaire aux conditions précitées d'inclusion dans les effectifs, ainsi qu'aux conditions requises de tout électeur.
Le législateur y a ajouté des modalités particulières pour les salariés mis à disposition. Leur électorat est subordonné à une condition de présence dans l'entreprise utilisatrice de douze mois continus. L'éligibilité requiert, elle, une présence de vingt-quatre mois continus et ne vaut que pour les DP, toute éligibilité au comité d'entreprise étant exclue.
De surcroît, le salarié mis à disposition ne pouvant pas disposer d'un double vote, le législateur lui a imposé une option aux modalités encore imprécises.
La solution la plus simple serait de considérer qu'un vote initial dans l'entreprise d'origine (et, a fortiori, le fait d'y avoir été élu) vaut renoncement à voter aux élections à venir de l'entreprise d'accueil. C'est ce qu'avait jugé le tribunal d'instance de Rouen le 12 mars 2009. Mais la Cour de cassation vient de casser cette décision (Cass. soc. 26 mai 2010, n° P 09-60.400) « ces conditions devant être appréciées lors de l'organisation des élections dans l'entreprise utilisatrice, c'est à cette date que les salariés mis à disposition doivent être mis en mesure d'exercer leur droit d'option ; (…) le fait que les salariés mis à disposition … aient déjà voté dans leur entreprise d'origine ne pouvait en soi les priver de leur droit d'option ».
Il faut donc rechercher de manière subjective - et donc contestable - l'intention de chacun des salariés mis à disposition. Et, ici encore, l'interrogation de l'entreprise prestataire (préconisée par la circulaire DGT précitée) sous le contrôle des salariés eux-mêmes, n'a pas suffi à convaincre les tribunaux de Versailles et d'Asnières précités : faute d'aucun document permettant de vérifier si les salariés concernés ont été interrogés individuellement et s'ils ont pu choisir librement leur lieu de vote.
Force est de constater que la loi du 20 août 2008 ne simplifie pas le processus électoral et que les contentieux sont nombreux.

Juin 2010


1 Notons que le tribunal d’instance de Versailles a considéré dans un jugement du 26 janvier 2010 qu’un salarié travaillant dans plusieurs établissements d’une entreprise devrait être comptabilisé dans celui où il exerce principalement son activité.
2 Étant relevé qu'un débat peut naître sur l'affectation dans les collèges si les classifications ne sont pas identiques dans les deux sociétés.

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