À l’intérieur et hors du cadre réglementaire, la maîtrise par le juriste d’entreprise des mécanismes de protection du patrimoine informationnel est primordiale. Par Philippe de Robert Hautequère, senior legal counsel, EADS, responsable de la commission Projets & Développement de l’entreprise, AFJE.
Polymorphe et dense, l’environnement juridique dans lequel évolue l’entreprise est façonné par les autorités législatives nationales, européennes et internationales, ainsi que par les organismes indépendants qui établissent un droit au contour et à la portée parfois incertains nommé «?droit mou?» ou soft law. Il est ainsi composé de normes, standards, recommandations, codes de bonne conduite, avis techniques ou financiers.

Appréhension de l’environnement
Conscientes de la difficulté à agir en conformité avec cet ensemble de règles complexes et changeantes, les entreprises ont développé la fonction juridique comme un moyen de limiter les conséquences dommageables de ce cadre mouvant. La fonction juridique s’est ainsi organisée selon l’axe de la défense contentieuse, de la prévention et de la gestion des risques et des coûts associés. Les entreprises ont intégré que la maîtrise de l’environnement juridique constitue un avantage concurrentiel, au même titre que la capacité d’innovation.
Au-delà, dans une démarche d’interprétation ou d’anticipation, nombre d’entreprises, sous l’impulsion de leurs juristes, ont compris l’intérêt de se soumettre volontairement à certains principes ou bonnes pratiques, édictant leurs propres règles en interne ou au sein d’organisations professionnelles (gouvernance, éthique, techniques contractuelles).
Parallèlement, de par leur pratique, les juristes d’entreprise ont développé une conception de leur fonction plus ambitieuse encore. Elle vise à la protection et à l’optimisation du patrimoine informationnel de la société, devenant ainsi un véritable facteur de croissance.

Secret et traçabilité de l’information
L’entreprise dispose en effet d’un ensemble d’informations et de données formant un véritable capital. Ce dernier ne se résume pas aux seuls droits de propriété intellectuelle, accessibles au public, dont la protection est directement régie par la loi. Il comprend également des secrets de fabrique, des savoir-faire, des secrets commerciaux qui n’existent et n’ont de valeur que parce qu’ils ne sont pas révélés. Le secret est fondamental notamment pour qu’une invention soit brevetable (caractère de nouveauté) et son exploitation va souvent de pair avec la mise en œuvre d’un savoir-faire (informations techniques non immédiatement accessibles au public). Pour ces données, l’entreprise doit mettre en place une protection sur mesure. Celle-ci s’organise et se gère avec l’aide du juriste, dans l’objectif de maîtriser la circulation de l’information et d’en préserver le caractère confidentiel. À cet égard, il faut noter que la loi ne sanctionne que certains types d’atteintes au patrimoine informationnel tels que la violation d’un secret de fabrique ou l’accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données.
Face à cet enjeu, la proposition de loi sur le secret des affaires(1) a notamment pour objectif d’inciter les entreprises à identifier les données nécessitant un régime de protection particulier et d’instaurer un volet répressif renforcé par la création d’un délit de violation de ce secret.

L’exploitation du patrimoine informationnel
Le juriste formalise et structure l’utilisation de l’information par l’entreprise et ses partenaires : signature systématique d’accords de confidentialité, définition des conditions d’utilisation, de contrôle et de résiliation, exclusivité, durée, territoire, sanctions, alerte et prise en charge des frais de défense en cas d’atteinte au patrimoine par des tiers, cession, sous-licence, etc.
En outre, conscient que chaque salarié concourt à la création du patrimoine informationnel et doit être capable de l’identifier, le juriste a un rôle de sensibilisation et de formation. Ses connaissances aiguës des problématiques intrinsèques de l’entreprise et de son environnement lui permettent aussi d’aider le décideur, par un questionnement adéquat, à mieux définir les opportunités de développement de l’activité de l’entre­prise. Le juriste participe à la prise de décision : cession ou concession d’un droit, adoption d’une stratégie ou d’un montage juridiques, croissance externe, par exemple.
Le juriste d’entreprise joue un rôle stratégique essentiel dans la valorisation des atouts de l’entreprise, autrement dit, dans le renforcement de son avantage concurrentiel. On notera toutefois que l’absence de reconnaissance de la confidentialité de ses avis par la législation française peut fragiliser nos entreprises.

(1) du député Bernard Carayon, votée en première lecture à l’Assemblée nationale le 23/01/12.

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