PSE et obligation de négocier sur la GPEC : fin de la connexion ?
Dans un arrêt n° 1949 rendu le 30 septembre 2009, la Chambre sociale de la Cour de cassation vient de trancher l’épineuse question de l’articulation entre la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et la mise en œuvre d’un Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).
La Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences a été introduite dans l’article L 320-2 du Code du travail (devenu L 2242-15) par la loi du 18 janvier 2005 (dite loi Borloo).
Ce dispositif met notamment à la charge des entreprises d’au moins 300 salariés une obligation triennale de négocier sur la mise en place d’un dispositif de GPEC ainsi que sur les mesures d’accompagnement susceptibles de lui être associées.
Très rapidement la question de l’articulation entre cette obligation et la mise en œuvre d’un licenciement collectif pour motif économique s’est posée, particulièrement sur le point de savoir si un PSE pouvait être mis en place sans que cette obligation de négocier en matière de GPEC ait été préalablement remplie.
C’est ainsi que bon nombre de jugements et d’arrêts de Cour d‘appel considéraient que si l’obligation de négocier la GPEC n’avait pas été mise en œuvre, aucune procédure de licenciement collectif pour motif économique ne pouvait être engagée. Plus gênant en pratique, certaines juridictions avaient même conclu à la suspension d’une procédure de licenciement collectif pour motif économique tant que les obligations en matière de GPEC n’étaient pas dument remplies par l’entreprise.
Ces décisions ont légitimement pu prendre appui sur les déclarations des hauts magistrats de la Cour de cassation, lesquels, à l’occasion des commentaires sur les arrêts « Pages jaunes » du 11 janvier 2006 indiquaient : « on peut d’ailleurs se demander si dans les entreprises où l’article L 320-2 s’applique [obligation triennale de négocier sur la GPEC issue de la loi Borloo du 18 janvier 2005], la nouvelle obligation de négocier sur la GPEC et les mesures d’accompagnement susceptibles d’y être associées…ne devrait pas conduire à une approche plus rigoureuse des mesures de licenciement économique qui interviendraient par la suite notamment lorsque la gestion prévisionnelle aura été défaillante. »
Au demeurant, d’autres juridictions du premier degré ont rendu des décisions totalement opposées. Tel est le cas, notamment, de l‘arrêt de la Cour d’appel de Chambéry du 18 octobre 2007 : « Attendu que les dispositions de l’article L 320-2 du code du travail relatives à la négociation triennale sur la GPEC n’imposent pas d’engager une telle négociation avant toute procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise au titre des livres IV et III dudit code. » ou encore du TGI de Paris le 4 décembre 2007 : « Quelle que soit la controverse doctrinale et jurisprudentielle invoquée par les syndicats intervenants, il reste que la lettre même de cette disposition, [article L 320-2 du code du travail] qui n’est assortie d’aucune sanction particulière, n’impose pas que les négociations sur la GPEC soient préalables à une réorganisation de l’entreprise intégrant un PSE. »
Dès lors, la position de la Cour de cassation était très attendue par les praticiens.
La position sans ambiguïté de la Cour de cassation.
Dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 30 septembre 2009, très classiquement, le comité central d’entreprise soutenait que la procédure d’information et de consultation au titre du livre IV et du livre III du Code du travail devait être suspendue tant que l’employeur n’avait pas respecté ses obligations d’information et de consultation sur la GPEC.
La Cour de cassation prend une position de principe qui a le mérite d’être claire : la régularité de la consultation du CE sur un projet de licenciement pour motif économique n’est pas subordonnée au respect préalable par l’employeur de son obligation d’engager tous les trois ans une négociation portant sur la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences.
La Chambre sociale ne donne aucune explication ni argumentation particulière pour étayer sa position, mais nul doute qu’il s’agit d’une décision de principe, mettant fin à la controverse.
Accessoirement, la Cour de cassation, dans le même attendu de principe, précise que cette consultation n’est pas davantage subordonnée au respect préalable de l’obligation annuelle de consultation du CE sur l’évolution des emplois et des qualifications en application de l’article 2323-56 du Code du travail.
La portée de cet arrêt.
On ne peut naturellement que se féliciter de la position prise par la Haute Cour, ce d’autant qu’elle correspond à la position retenue par les partenaires sociaux dans l’accord national interprofessionnel du 14 novembre 2008 sur la GPEC : « Si la GPEC doit prendre en compte la prospective des métiers (métiers en croissance, stables, en décroissance, en forte modification de contenu ou encore en renouvellement démographique) elle ne doit pas être un outil favorisant les licenciements collectifs. Ainsi conçue elle n’est donc pas une étape préalable aux procédures de licenciements collectifs et aux PSE qui obéissent à des règles spécifiques et doit, de ce fait, être dissociée de leur gestion. »
Elle correspond sans doute aussi à la volonté du législateur de l’époque, volonté implicitement validée par le groupe de travail chargé de la recodification du code du travail, puisque les obligations en matière de GPEC ont été introduites dans la partie 2 relative aux relations collectives du travail et non pas dans le titre III de la partie 1 relatif au licenciement pour motif économique.
Concrètement, cette position ne manquera pas de limiter certaines pratiques visant à bloquer ou ralentir le processus de consultation sur un projet de licenciement collectif pour motif économique, non seulement en cas d’absence de négociation préalable sur la GPEC mais aussi en cas d’insuffisance de cette dernière aux yeux des élus.
L’absence de loyauté dans la négociation sur la GPEC (le projet de restructuration, connu de l’employeur, n’ayant pas été abordé), le non aboutissement ou la non formalisation de la fin des négociations, ou encore la nécessité de reprendre le processus de négociation au vu du projet de licenciement collectif envisagé, sont autant d’arguments qui pouvaient en effet être soulevés par les CE pour solliciter une suspension de la procédure de consultation sur le projet de licenciement collectif.
Attention cependant à ne pas occulter la GPEC au prétexte de cette jurisprudence
Sans minimiser l’importance de cette jurisprudence de la Cour de cassation, cette dernière ne saurait occulter l’ensemble des autres obligations mises à la charge de l’employeur avant tout licenciement pour motif économique, dont notamment :
- d’une part, l’obligation de reclassement de l’employeur avant tout licenciement, d’abord reconnue par la Cour de cassation puis reprise dans l’article L 1233-4 du code du travail ;
- d’autre part, l’obligation d’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois, initialement reconnue par la Chambre sociale et reprise dans ce même article L 1233-4 : « Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient ».
Or, force est de constater que la GPEC constitue malgré tout un des supports naturel des outils à mettre en place pour faciliter la réalisation de cette double obligation. Sans compter que le manquement à l’obligation de négocier sur la question de la GPEC pourrait être mise en avant pour soutenir que l’employeur n’a pas accompli tous les efforts de formation et d’adaptation de ses personnels.
Il ne faudrait donc pas l’occulter au seul motif de la limitation de la portée de la GPEC issue de cet arrêt du 30 septembre 2009.
En outre, on ne peut qu’inviter les employeurs en situation de devoir envisager un licenciement collectif pour motif économique à se reporter au préambule de l’accord national interprofessionnel sur la gestion sociale des conséquences de la crise économique du 8 juillet 2009 conclu entre tous les partenaires sociaux hormis la CGT, préambule au terme duquel « les partenaires sociaux considèrent que le dialogue social et la négociation collective sont les moyens à privilégier dans cette période pour avoir un état des lieux de la situation économique et de son évolution probable et, à partir de là, envisager toute mesure permettant d’y faire face et d’en assurer la cohérence ».