Par Pierre Bonneau, avocat associé, et Ghislain Dintzner, avocat. CMS Bureau Francis Lefebvre
Les aménagements des horaires de travail, fréquents notamment en cas de rapprochement d’entreprises, relèvent en principe du pouvoir de direction de l’employeur. La jurisprudence apporte cependant de sérieux tempéraments à ce principe, en subordonnant dans certains cas la validité de ces évolutions à l’accord des salariés. Point d’arrêt sur les dernières décisions jurisprudentielles.

Plus d’une décennie après l’entrée en vigueur de la loi Aubry II, la Cour de cassation poursuit la construction du droit de la durée du travail. En marge des forfaits jours ou encore des cadres dirigeants, un autre sujet d’actualité dans ce domaine a trait aux incidences des évolutions d’horaires, par essence collectives, sur les contrats individuels de travail. Ainsi et en cas de modification de l’organisation d’un site de production, ou encore de rapprochement d’équipes à l’occasion d’une fusion, la question se pose de la marge de manœuvre dont dispose l’employeur pour imposer des changements d’horaires de travail.

L’enjeu
Cette question renvoie à la distinction classique entre la modification du contrat de travail et le simple changement des conditions de travail. De cette distinction élaborée par la Cour de cassation découlent en effet deux régimes différents :
- dès lors que la mesure envisagée porte sur la durée du travail du salarié, qui constitue un élément du contrat de travail, celle-ci s’analyse en une modification du contrat qui ne peut être mise en œuvre sans l’accord du salarié1. Lorsque le salarié refuse la proposition de modification du contrat de travail, l’employeur peut alors, soit poursuivre la relation contractuelle aux conditions initiales, soit engager une procédure de licenciement pour motif économique en lui proposant au préalable, conformément aux dispositions de l’article L. 1222-6 du Code du travail, la signature d’un avenant à leur contrat de travail.
- à l’inverse, la modification des horaires de travail sur la journée ou la semaine s’analyse, en principe, en un simple changement des conditions de travail et relève donc du pouvoir de direction de l'employeur. Ce dernier peut par conséquent imposer au salarié une nouvelle répartition de ses horaires journaliers ou hebdomadaires et, en cas de refus de cette nouvelle répartition, un éventuel licenciement pour faute peut être envisagé.

Le principe : une prérogative de l’employeur
Dès lors qu’il n’est ni discriminatoire, ni abusif, le changement des horaires de travail relève de la première des deux catégories précitées et s’impose donc aux salariés concernés lorsqu’ils sont à temps complet (les salariés à temps partiel bénéficiant d’une contractualisation de leurs horaires). La Cour de cassation a ainsi jugé le 9 avril 2002 que le changement d'horaire consistant dans une nouvelle répartition des heures de travail au sein de la journée (de 9 heures à 18 heures au lieu de 7 heures à 16 heures), alors que la durée du travail et la rémunération restaient identiques, constituait un simple changement des conditions de travail. Toutefois, la frontière entre modification du contrat de travail et simple changement des conditions de travail en cette matière est particulièrement ténue dans la mesure où la liberté de principe de l’employeur peut se heurter à d’autres règles impératives protectrices des droits des salariés tendant à faire basculer la nouvelle répartition des horaires de travail dans le régime de la modification contractuelle.

Premier tempérament : les modifications par nature contractuelles
Par dérogation au principe susvisé, la jurisprudence considère que certaines évolutions affectant les horaires sont par essence contractuelles, peu important la situation personnelle du salarié concerné. Il en va tout d’abord du passage, même partiel, d’un horaire de jour à un horaire de nuit ou inversement, du passage d’un horaire fixe à un horaire modulé, variable ou par cycle, du passage d’un travail sur quatre jours à un travail sur cinq jours, qui compte tenu de leur ampleur ou de leurs conséquences ont pour effet de bouleverser les horaires de travail jusqu’alors pratiqués. Ainsi et à titre d’illustration, le seul fait que la nouvelle répartition des horaires proposée au salarié comporte un travail au-delà de 21?heures constitue une modification du contrat de travail dès lors qu’il n’effectuait pas auparavant d’horaires sur la plage 21?heures - 6 heures. Par ailleurs, le réaménagement des horaires de travail échappe au pouvoir de direction de l'employeur lorsqu’il porte sur un élément de l'horaire de travail que les parties ont considéré comme déterminant lors de la conclusion du contrat : tel est le cas lorsque le contrat de travail mentionne expressément, comme condition essentielle du contrat, la répartition des horaires du salarié sur la journée ou sur la semaine. Plus généralement, il convient pour l’employeur, préalablement à l’aménagement des horaires de travail au titre de son pouvoir de direction, de vérifier, d’une part, si ce changement n’entraîne pas pour le salarié un bouleversement complet de ses horaires de travail jusqu’alors pratiqués et, d’autre part, si cet horaire de travail ne constitue pas un élément considéré comme déterminant lors de la conclusion du contrat de travail. Enfin, il se peut que le contrat de travail comporte une clause permettant à l’employeur de changer les horaires de travail et leur répartition dans la journée ou dans la semaine selon les nécessités de l’entreprise. La Cour de cassation minimise cependant la portée d’une telle clause en la rendant inopérante en cas de bouleversement complet des horaires antérieurement pratiqués.

Second tempérament : le respect de la vie personnelle et familiale et le droit au repos
Le second tempérament apporté par la Cour de cassation, en dernier lieu dans un arrêt du 3 novembre 2011, repose sur le droit au respect de la vie personnelle et familiale et le droit au repos. Il a ainsi été jugé que l’instauration d’une nouvelle répartition du travail sur la journée relevait du pouvoir de direction de l’employeur dès lors que cet aménagement ne portait pas une atteinte excessive à ces droits. Dans cette décision, l’employeur avait substitué à des horaires majoritairement du matin, des horaires exclusivement de l’après-midi, voire du soir. Si, en l’espèce, ce bouleversement des conditions de travail ou du rythme de travail invoqué n’a pas été jugé d’une ampleur suffisante, la Cour de cassation est néanmoins venue préciser qu’un tel changement pouvait être susceptible de nécessiter l’accord exprès du salarié s’il est démontré qu’il porte une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos. Sur ce terrain, la Cour de cassation a ainsi considéré que le retentissement lié au simple changement des horaires de travail doit présenter un caractère excessif pour relever du régime de la modification du contrat de travail. Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement des règles applicables aux salariés à temps partiel pour lesquels la modification des horaires journaliers peut être refusée pour des raisons familiales impérieuses. En définitive, l’arrêt précité de la Cour de cassation du 3?novembre 2011 impose à l’employeur de prendre en considération les incidences de ses changements d’organisation sur la situation personnelle du salarié. Reste à savoir si l’employeur pourra s’affranchir de cette contrainte lorsque les aménagements du temps de travail procéderont de la mise en place d’un dispositif d’annualisation. L’article 40 de la loi de simplification du droit, qui vient d’être adoptée, prévoit à cet égard que la mise en place d’une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année prévue par un accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail nécessitant l’accord exprès du salarié, excepté pour les salariés à temps partiel. Cette disposition, qui vise à revenir sur une solution contraire de la Cour de cassation, pourra-t-elle également trouver application lorsque cette nouvelle répartition des horaires entraînera un bouleversement dans l’organisation de la vie personnelle et familiale des salariés ? Si l’on peut espérer une réponse positive, la question ne manquera pas de susciter un débat et de permettre le cas échéant à la Cour de cassation de poursuivre son œuvre prétorienne.

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