Charles Beigbeder (Gravitation) : « Un leader est celui qui décode la complexité du monde et la transforme en un message clair »
Décideurs. Quels sont les éléments du leadership ?
Charles Beigbeder. Le leader est avant tout quelqu’un qui a une vision, qu’il s’agisse du leader d’une entreprise ou d’un mouvement politique. Que l’on entraîne des salariés ou des citoyens, il faut être capable de montrer aux hommes et aux femmes qu’on suit un cap pour qu’ils puissent trouver un sens à leur travail, s’y accomplir et donner le meilleur d’eux-mêmes. La mondialisation rend le monde de plus en plus complexe et la concurrence de plus en plus féroce. Le leader, c’est justement celui ou celle qui va pouvoir comprendre, analyser, décoder la complexité du monde et la transformer en un message clair. Le leadership doit permettre de répondre à des questions difficiles par des réponses simples. Cela va au-delà de la stratégie, qui vient juste après : comment atteindre les objectifs fixés. Bien sûr, avoir une vision ne fait pas tout, encore faut-il pouvoir la transmettre : c’est ici que le charisme intervient.
Décideurs. Le leadership comprend-il certains éléments cachés, moins intuitifs ?
C. B. Il doit exister dans le leadership une forte part d’éthique : cela fait un peu « tarte à la crème » mais c’est essentiel. Le leader insuffle une vision mais aussi une culture d’entreprise et doit être irréprochable. Le monde politique a récemment livré un exemple de ce qu’un leader au comportement moralement condamnable peut provoquer. Personne n’est parfait, mais le leader doit s’efforcer au maximum de prendre ses décisions de façon juste et non violente, c’est-à-dire de manière morale. S’il est menteur, hypocrite ou violent, ses collaborateurs vont penser que c’est comme ça qu’il faut être, et ainsi de suite. Dans les années 1970, on considérait qu’il fallait être dur pour être efficace. Certains le croient encore mais il n’y a aucun intérêt à rendre l’ambiance délétère.
Décideurs. Les cinq sociétés que vous avez créées sont-elles sous-tendues d’une vision commune ?
C. B. Oui, j’ai systématiquement désiré proposer quelque chose de nouveau, qui change notre façon de voir les choses. En créant Selftrade lors de la montée en puissance d’Internet, j’ai voulu démocratiser l’accès à la Bourse en ligne. En créant Poweo, l’idée était de proposer une alternative intelligente à EDF et GDF. En créant Agrogeneration, c’était d’établir un nouveau modèle d’agriculture présente sur deux hémisphères, qui autofinance ses mises en terre d’un côté du globe grâce aux cash-flows provenant des récoltes de l’autre côté.
Décideurs. Quelle est la part d’inné et d’acquis dans le leadership ?
C. B. Très honnêtement, je ne sais pas si le leadership peut s’apprendre… en tout cas pour ma part je ne l’ai pas reçu en enseignement. Mais il y a des choses qui peuvent s’apprendre : parler en public par exemple. Regarder son public au début et à la fin de chaque propos, faire des pauses aux moments importants en comptant intérieurement, manier l’humour avec notamment une opening joke, tout ça peut s’apprendre et se répéter. Lors de ma première IPO, je n’étais pas très à l’aise à l’oral et j’ai suivi une formation avec un acteur britannique qui m’a énormément appris. Quant à la vision du leader, je pense qu’il faut avant tout être curieux, beaucoup lire, s’intéresser au monde, vouloir le comprendre et surtout comprendre qu’il n’y a pas de secret. Il n’y a rien qui ne puisse s’expliquer ou qui soit réservé à une élite. Après, il faut surtout une bonne dose de confiance en soi, de capacité de conviction, d’audace et d’optimisme. être doté d’une vision est une chose, mais convaincre des hommes et des femmes en est une autre et délivrer une stratégie également. Il n’y aura que des obstacles sur le chemin. Comment disposer de suffisamment de confiance en soi ? Probablement en ayant reçu beaucoup d’amour durant sa jeunesse mais les exemples contraires abondent. La volonté de réussir pour plaire à ses proches est un moteur. Mais l’humiliation et la soif de revanche aussi…
Décideurs. Pouvez-vous nous citer trois leaders qui vous inspirent ou vous impressionnent ?
C. B. Sans hésiter, Xavier Niel. Sa capacité à créer le futur, inventer de nouvelles offres, être disruptif, tout ça mêlé à son style un peu impertinent « à l’américaine » et en maniant l’humour : j’adore. Elon Musk (cofondateur de Tesla Motors et Paypal) m’impressionne aussi énormément. En créant SpaceX, une compagnie privée de transport spatial, il réalise le mythe de l’entrepreneur tel qu’on se le figure adolescent. Enfin, dans le même registre, je citerai Richard Branson.