Les organisations ont longtemps été organisées sur un modèle strictement « commande et contrôle » et ce temps est révolu. Aujourd’hui, les cadres comme les salariés non cadres aspirent à être écoutés, à voir leur autonomie reconnue et respectée. Un vaste mouvement autour de l’Entreprise libérée a pris place, qui propose une gouvernance repensée.

Pour beaucoup, le concept d’entreprise libérée interpelle. Est-ce un mot chic pour chaos ? Est-ce possible ? Comment mettre en place la promesse de libération du contrôle tatillon sans ouvrir trop grand la porte à d’autres excès autour du laxisme ? Comment réussir le « lâcher prise » ? Les réponses sont dans un pacte moderne et équilibré entre Leadership, confiance, mais aussi une hiérarchie qui repense son rôle, pour encourager plus que contrôler. 
 
La gouvernance moderne de l’Entreprise libérée, ce n’est pas l’anarchie, mais le juste équilibre qui concilie entre Leadership et hiérarchie responsable. Le management a deux outils de gouvernance à sa disposition : le leadership et le pouvoir. Il doit utiliser plus le premier que le second.

Ce besoin vital

Pourquoi les organisations ont-elles cette peur de libérer leurs forces vives, de faire confiance à leurs collaborateurs ? Pourquoi ont-elles eu besoin de mettre en place contrôle, process et bureaucratie ?

L’exigence de satisfaire le client, l’impérieuse nécessité de produire de façon calibrée et fiable expliquent pour beaucoup la mise en place légitime de process et de contrôles. Toutefois, ce besoin vital, comme souvent, a pu engendrer des dérives autoritaires et une coupure du dialogue entre management et salariés, car les peurs sont souvent mauvaises conseillères et parce que celui qui a le dernier mot, la hiérarchie, a parfois envie de parler plus que d’écouter.

L’équipe de management a deux modes d’intervention, de gouvernance, à sa disposition : le leadership et le pouvoir. Comment concilier l’un et l’autre ? Avant de répondre, il faut définir les deux forces en présence, leurs atouts, leurs limites.

Pouvoir légitime et pouvoir abusif

S’agissant du pouvoir, il faut distinguer pouvoir légitime et pouvoir illégitime et abusif. Le pouvoir légitime, par exemple celui de prendre une décision en dernier ressort, n’est pas un problème en soi. Le pouvoir légitime et non abusif n’est pas interdit ou inutile. Il permet, en cas de désaccord, d’avancer. Il permet de poser un cadre de travail en commun, il permet d’octroyer la responsabilité et ses devoirs contre quelques droits.

Ne confondons pas le pouvoir légitime et responsable avec le pouvoir illégitime et les abus de pouvoirs. Les abus de pouvoirs, fréquents dans certaines organisations, relayés amplement par les médias, expliquent l’aspiration à une entreprise libérée, à une autonomie plus forte, et à un autre mode de gouvernance, fondé sur le Leadership.

En termes de gouvernance, le pouvoir (légitime) fonde une organisation verticale de l’entreprise. Ceux qui sont en haut décideraient, ceux qui sont en bas exécuteraient. L’efficacité apparente du modèle le rend tentant. Toutefois, les modèles d’organisation fondés sur cette seule structure verticale ont montré leur limite : tentation de l’abus de pouvoir, déconnexion possible du management et des équipes, perte d’écoute des besoins clients…

La décentralisation du pouvoir, l’empowerment

S’agissant du Leadership, il s’agit d’une gouvernance différente, fondée sur l’horizontalité de la relation entre management et collaborateurs. Le leadership est fondé sur l’adhésion et la création d’un consensus volontaire, et non le pouvoir d’avoir le dernier mot. Les entreprises où la gouvernance est fondée sur l’adhésion libèrent l’énergie créative de leurs collaborateurs. L’autre caractéristique de la gouvernance par le Leadership est la décentralisation du pouvoir, l’empowerment. Enfin, l’empowerment induit de pousser les décisions « vers le bas » ou vers la frontière entre l’entreprise et ses clients, au plus près des équipes en charge. 

Opposer une gouvernance fondée sur le leadership et une gouvernance fondée sur le classique pouvoir (légitime) est important pour contraster les deux définitions, les deux modes de fonctionnement. Mais dans la pratique chaque entreprise utilise les deux modes de gouvernance, leadership et pouvoir, ainsi que horizontalité (respects et consensus) et verticalité (décisions en dernier ressort). La vraie question, qui reste inexplorée, est : « Comment combiner ces deux modes de gouvernance en apparence antinomique ? »

La gouvernance fondée sur le pouvoir (légitime) donne de l’efficacité, de la sécurité, de la clarté. La gouvernance fondée sur le leadership donne de la créativité, du plaisir au travail et de l’adhésion. Peut-on se priver de l’un ou de l’autre ? Sans doute pas. Même dans les entreprises qui revendiquent la « libération » des forces vives ou de l’entreprise, il reste une stratégie posée par l’actionnaire et le management, mais ceux-ci sont conscients et encouragent fortement la liberté dans les moyens d’action et dans les choix d’organisation.

Les sept principes directeurs d’une entreprise libérée

Les sept principes directeurs d’une entreprise libérée par rapport aux organisations classiques sont les suivants :

- en finir avec les longues boucles de contrôle ,

- rendre les acteurs autonomes, 

- allier bien-être au travail et productivité, 

- adopter le principe de subsidiarité, 

- avoir une vision, portée par un leader charismatique exemplaire et humble ,

- avoir des valeurs partagées, 

-  et inverser la pyramide managériale.

Comment ces principes se déclinent-ils en pratique ? Comment fonctionnent-ils au quotidien ? Décideurs a enquêté, analysé, interviewé différents leaders et différentes organisations (Poult, le mouvement En Marche !…). À travers ces témoignages et cas pratiques, arriverez-vous à « libérer » votre entreprise ? Arriverez-vous à trouver le juste équilibre entre Pouvoir qui protège, et Leadership qui libère ? 

Pierre-Étienne Lorenceau

 

 

Naissance d’un concept

Le terme d’« entreprise libérée » a été utilisé pour la première fois par Isaac Getz, professeur de management à l’ESCP dans l’ouvrage dont il est coauteur, Liberté et Cie, publié en 2012. Le livre met en lumière une organisation dans laquelle les échelons hiérarchiques sont réduits au strict minimum, où dominent la confiance et l’autonomie. Le documentaire de Martin Meissonnier, Le Bonheur au travail, a également contribué à accroître grandement sa notoriété. Le concept s’est progressivement généralisé et il est régulièrement utilisé pour désigner des organisations qui refondent leurs méthodes de management et valorisent la qualité de vie au travail.

Marie-Hélène Brissot

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