La rénovation de la négociation de Groupe par la loi « Travail »
La négociation de groupe a fait l’objet d’une première reconnaissance par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 avril 2003 (Cass. soc., 30 avr. 2003, no 01-10.027, Bull. civ. V, no 15) qui a donné pleine validité à l’accord Groupe sous réserve toutefois qu’il ne se substitue pas à la négociation d'entreprise. Il faudra attendre la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social pour que l’accord de Groupe soit légalement reconnu mais de manière imparfaite. En effet, l’accord de groupe ne constituait pas en soi un niveau de négociation, il n’était pas supérieur à l’accord d’entreprise auquel il ne pouvait pas se substituer et à ce titre, il ne pouvait pas porter sur les thèmes faisant l’objet de la négociation obligatoire.
La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (ci-après loi Travail) a levé les verrous de l’accord de Groupe dans l’objectif de redynamiser le dialogue social à ce niveau. Pour ce faire, elle a clarifié le régime juridique des accords de groupe et renforcé leur portée.
Elle a tout d’abord élargi les thèmes pouvant être couverts par un accord de groupe. Désormais, l’ensemble des négociations prévues au niveau de l’entreprise peuvent être engagées et conclues au niveau du groupe. Ainsi, lorsqu’un accord de méthode conclu au niveau du groupe dispose qu’une ou plusieurs des négociations obligatoires d’entreprise prévues par le Code du travail sont engagées au niveau du groupe, les obligations de négocier des entreprises appartenant à ce groupe sont présumées remplies pour les thèmes couverts par cet accord. Les entreprises sont alors dispensées d’engager elles-mêmes des négociations sur ce thème. En l’absence d’accord de méthode, les entreprises sont également dispensées d’engager une négociation obligatoire lorsqu’un accord portant sur le même thème a été conclu au niveau du groupe et remplit les conditions prévues par la loi.
Par ailleurs, la loi Travail a clarifié l’articulation entre accord de groupe et accord d’entreprise. Dorénavant, les stipulations d’un accord de groupe peuvent prévaloir, si cet accord le prévoit expressément, sur celles des accords d’entreprise ou d’établissement antérieurs ou postérieurs. Par souci de cohérence, la même articulation est retenue pour les rapports entre accords d’entreprise et accords d’établissement.
Enfin, la loi Travail autorise l’accord de groupe à déroger à l’accord de branche sans que celui-ci doive l’autoriser expressément, sur les sujets sur lesquels la loi le prévoit pour les accords d’entreprise (les deux régimes sont donc alignés).
La loi "Travail" a donc totalement rénové la négociation de Groupe en la consacrant en tant que niveau de négociation à part entière et en conférant à l’accord de groupe un rang supérieur à l’accord d’entreprise auquel il peut se substituer de manière automatique.
Cette reconnaissance de l’accord de groupe en tant que niveau de négociation à part entière était attendue depuis de nombreuses années afin d’adapter le droit du travail à une réalité économique et organisationnelle qui dépasse le cadre traditionnel de l’entreprise. Dans une économie mondialisée, l’entreprise est de moins en moins un niveau décisionnel autonome mais s’inscrit très fréquemment dans un maillage de liens sociétaires qui la dépasse et qui positionne le lieu réel de la gouvernance au niveau du groupe.
En outre, la possibilité pour un accord de groupe de se substituer aux accords d’entreprise antérieurs à sa conclusion permettra d’harmoniser la situation sociale du groupe sans qu’il soit nécessaire que les entreprises du groupe dénoncent leurs accords, ce qui évitera ou à tout le moins limitera les tensions sociales liées à l’acte de dénonciation et à la crainte qu’un accord de substitution ne soit pas conclu. De plus, cela évitera d’appliquer un double statut (celui issu de l’accord dénoncé et celui résultant du nouvel accord) pendant la période légale de survie de l’accord dénoncé. La possibilité pour l’accord de groupe de prévaloir sur les dispositions d’un accord d’entreprise postérieur permet, quant à elle, d’éviter les superpositions d’accords et le contentieux lié à l’interprétation de la norme la plus favorable.
Par ailleurs, la négociation au niveau du groupe permettra de créer une norme conventionnelle qualitative car négociée avec des partenaires sociaux avisés. A cet égard, le rapport de Jean-Denis Combrexelle sur la négociation collective, le travail et l’emploi relève que c’est dans les groupes que « se trouve l’innovation en matière sociale et que sont imaginés les nouveaux dispositifs notamment en matière d’emploi, d’égalité hommes/femmes ou de responsabilité sociale des entreprises » (Rapport "La négociation collective, le travail et l’emploi", J.-D. Combrexelle, 2015, p. 94).
Aux vertus précitées de l’accord de groupe, il pourra être objecté que le niveau de négociation sera trop éloigné de la réalité économique et sociale de chaque filiale pour prendre en compte leurs spécificités. Les organisations syndicales représentatives au sein de l’entreprise pourraient, quant à elles, se plaindre d’être reléguées à l’état de simples figurantes car privées de leur pouvoir de négocier et de conclure. Néanmoins, il sera relevé que c’est précisément afin d’éviter cet écueil que la loi prévoit que les organisations syndicales de salariés représentatives dans chacune des entreprises ou chacun des établissements compris dans le périmètre de l’accord sont informées préalablement à l’ouverture d’une négociation dans le périmètre de l’accord. Elles seront donc à même de s’organiser afin que les coordinateurs syndicaux de groupe ne les privent pas de tout pouvoir de négociation au niveau de l’entreprise.
Afin d’apaiser les craintes vis-à-vis de la négociation de groupe et de donner une visibilité sociale aux filiales ainsi qu’aux organisations syndicales représentatives en leur sein, les négociateurs pourront utilement s’inspirer du rapport de Jean-Denis Combrexelle qui préconise de fixer, par un accord de groupe, à l’avance et de façon objective les différents niveaux de négociation (groupe, entreprise, établissement) en fonction des sujets traités.
L’accord de groupe permettra donc de décloisonner les statuts collectifs des entreprises parfois inadaptés à son organisation, il devra toutefois démontrer qu’il mérite la supériorité que la loi Travail lui a conféré tant dans la méthode employée que dans le contenu qualitatif de la norme qu’il va créer.
Florence MILAN, Avocat associé - Capstan Avocats