Jean-Roch Houllier (Thalès) : « L’innovation naît de la capacité à l’émerveillement »
Décideurs. Vous avez de nombreuses passions et casquettes : la préhistoire, l’enseignement, l’entomologie… Les mettez-vous à profit dans le cadre de vos fonctions chez Thales ?
Jean-Roch Houllier. Chez Thales, je suis entouré d’une communauté de sachants et de passionnés. L’effervescence du chantier de l’apprentissage y est très stimulante. Nous nous nourrissons les uns les autres, nous publions même ensemble. C’est ce que nous appelons « Thales enseigne Thales ». Et parfois mes univers se rapprochent et collaborent. Par exemple, sous ma casquette de préhistorien, je travaille depuis plusieurs années à un ouvrage consacré à la « Cité de la pierre » (« Cidade de pedra ») au Brésil. Nous étudions cette cité archéologique afin de faire avancer les connaissances sur les peuplements du continent sud-américain par les hommes modernes de la préhistoire, leur expansion et évolution. Ce vaste projet a donné lieu à un partenariat entre l’Université de Thales et le Muséum national d’histoire naturelle de Paris : Thales a développé une application permettant de mieux visualiser et analyser l’espace de la « Cité de la pierre ».
Comment définiriez-vous le rôle du formateur ?
J’ai pour habitude de dire que nous vivons une époque « d’ubiquité des savoirs ». Le savoir est facilement accessible, il est partout. Cela conduit nécessairement à revisiter les modes de formation et à redistribuer les rôles. Le formateur n’a plus à se concentrer exclusivement sur la transmission des connaissances. Il devient « facilitateur » : il doit affûter son esprit critique pour sélectionner les meilleurs contenus pédagogiques, tout en faisant en sorte que le participant « apprenne à apprendre » dans un monde à la complexité grandissante. Il lui faut aussi rester en éveil et transmettre une culture de l’innovation.
Qu’entendez-vous par culture de l’innovation ?
Beaucoup de gens s’ancrent dans une routine et il leur devient difficile de regarder autrement ce qui les entoure. C’est un peu comme lorsqu’on conserve un cadre dans son bureau pendant plusieurs années. Au bout d’un moment on ne le regarde plus. Pourtant, retournez ce cadre et soudain un autre univers s’offre à vos yeux ! L’innovation résulte également pour moi de la capacité à l’émerveillement. L’entomologie (l’étude des insectes) nous apprend cela. Par exemple, le pyrrhocore : ce n’est que si on l’observe en plaçant sa tête vers le bas que l’on comprend son nom commun de « gendarme ». En effet sa couleur et les motifs dessinés sur son dos évoquent un peu les habits rouge et noir des gendarmes à partir de la fin du XVIIe siècle. L’innovation c’est aussi l’histoire d’une pépite : une idée qu’on range dans un coin et qu’il faut savoir aller rechercher au bon moment, pour qu’elle prenne tout son sens. Je travaille beaucoup sur le croisement des idées, sur les « ponts ».
Comment mettre en place ces ponts au sein de Thales ?
Nous avons par exemple instauré au sein de l’Université de Thales ce que nous appelons un événement nommé « momentum » au sens du « moment des partages pédagogiques ». Dans le cadre de ce rendez-vous régulier, j’invite deux collègues learning managers ou encore des personnalités extérieures à l’entreprise qui viennent partager leurs réflexions et expérience. Nous avons par exemple reçu un intervenant de chez Carrefour pour parler des problématiques spécifiques de formation rencontrées par ce grand groupe.
Propos recueillis par Marie-Hélène Brissot