« Rattraper des années de rendez-vous manqués. » Voilà l’objectif affiché par Édouard Philippe lors de la conférence de presse de présentation des cinq ordonnances constituant l’emblématique réforme du droit du travail. Objectif atteint d’après Jean-Michel Mir, associé du cabinet d’avocats Capstan, spécialisé en droit social. « Pour une fois, c’est une vraie réforme, se réjouit-il. Les modifications sont profondes. Il y a un véritable effort de modernisation et de simplification et un gain de lisibilité. »

Un premier constat s’impose, celui du maintien du rôle de la branche. La réforme écarte l’inversion des normes – qui avait tant fait débat au moment de l’adoption de la loi El Khomri – qui devait favoriser les accords d’entreprise au détriment des accords de branche.

« Pour une fois, c'est une vraie réforme »

La force de la branche

Cette dernière conserve un rôle central. Patrick Thiébart, associé du cabinet d’avocats Jeantet, confirme : « La branche est loin d’être dénudée, elle conserve des prérogatives qui ne sont pas négligeables. » Le nouveau texte lui confie même de nouvelles compétences en matière de gestion et de qualité de l’emploi, par exemple concernant le recours aux contrats courts et au CDI de chantier. Selon Jean-Michel Mir, en définitive, « nous allons devoir tenir compte plus qu’avant de ce qui a été négocié au niveau de la branche, y compris sur le temps de travail ».

« La branche est loin d'être dénudée »

La négociation sans syndicats

La réforme, qui entend conférer une place de choix aux TPE/PME, met en place une mesure novatrice à leur attention : l’ouverture à la négociation sans syndicats. L’employeur pourra négocier directement avec son personnel dans les entreprises de moins de 20 salariés, et avec un élu du personnel dans les entreprises de moins de 50 salariés, en l’absence de délégué syndical.

« J’aime l’idée de pouvoir signer des accords d’entreprise avec des représentants élus », explique Patrick Thiébart, qui relève au passage la diminution automatique du nombre de salariés protégés… Il ne croit pas pour autant à un affaiblissement des syndicats au regard de la place prise par le dialogue social grâce à la réforme.

Un son de cloche très différent chez Karine Thiébault, associée du cabinet Antigone, spécialisé dans la défense des salariés, des syndicats et des institutions représentatives du personnel. À ses yeux, la réforme traduit « une méfiance vis-à-vis des corps intermédiaires, et particulièrement des organisations syndicales. Je ne pense pas qu’on se dirige vers plus de dialogue social, mais plutôt vers des négociations déséquilibrées. »

 

La sécurisation des licenciements

Les ordonnances entérinent l’adoption d’une mesure d’ores et déjà fort commentée : celle de l’instauration d’un barème des indemnités prud’homales. Il démarre à trois mois pour deux ans d’ancienneté avec un plafond de vingt mois pour trente ans d’ancienneté. Parallèlement, les indemnités légales de licenciement sont augmentées de 25 %. La mesure est saluée par les conseils d’entreprise, qui louent la sécurité en résultant pour leurs clients. De son côté, Karine Thiébault y est fermement opposée. «  Le principe même du barème me paraît injustifiable. Le législateur pense de façon dogmatique qu’il faut faire disparaître la crainte du juge dans l’esprit des employeurs. » Elle ajoute que « conjugué à la réduction à un an du délai de saisine du conseil de prud’hommes, le barème aura nécessairement pour effet de diminuer très sensiblement le nombre de procédures. C’est bien l’effet recherché d’ailleurs. »

« Le barème aura pour effet de diminuer très sensiblement le nombre de procédures »

La seconde mesure phare a trait aux licenciements économiques : leur périmètre d’appréciation est désormais fixé au niveau national, et plus mondial. « Il s’agit là d’une démarche très positive pour les employeurs. On simplifie la vie des entreprises qui pourront justifier d’un motif économique sans avoir à maîtriser l’intégralité des données économiques d’un groupe international », analyse Catherine Le Manchec, associée du cabinet August Debouzy. À relever, souligne-t-elle, l’insertion dans le texte d’une disposition de nature à éviter que les employeurs puissent faire état de difficultés économiques artificielles.

 

La naissance du comité social et économique

Les instances représentatives du personnel – DP, CE, CHSCT – seront désormais réunies en une seule, dénommée « comité social et économique ». Une mesure fort appréciée des praticiens. « Je n’y vois que des avantages, déclare Patrick Thiébart. On ira plus vite et les réunions seront plus approfondies. » C’est par décret d’application que seront déterminées les conditions exactes de mise en œuvre de cette mesure, et notamment le nombre d’heures de délégation. À suivre, donc.

 

 

Marie-Hélène Brissot

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