Général François Labuze (écoles de Saint-Cyr) : « Dans l'armée, les ressources humaines sont l'affaire des chefs »
Décideurs. Peut-on enseigner le leadership ?
Général François Labuze. Oui, le leadership s'enseigne et s'apprend, mais cela demande du temps. C'est une matière qui ne peut se dissocier du reste de la formation militaire. Le leadership repose sur l'exemplarité du chef et sur la confiance qu'a le subordonné envers lui. Cette confiance se construit autour de trois dimensions. La première est de nature professionnelle : c'est la compétence du chef dans le métier qu'il exerce. La seconde est dite « intellectuelle ». Il s'agit de sa capacité à raisonner et analyser une situation. La troisième dimension est humaine : la façon dont le leader s'intéresse à ses hommes et s'en occupe. Elle est essentielle et fait que dans l'armée de terre, les ressources humaines ne sont pas dévolues à un service spécialisé. Elles sont directement l'affaire des chefs. À eux de prendre soin de leurs subordonnés, de les conseiller, de suivre l'évolution de leur carrière.
Est-ce plus complexe d'enseigner à la « génération Y », que l'on décrit souvent comme réfractaire à l'autorité ?
Je ne pense pas que la jeune génération soit réfractaire à l'autorité. Elle a besoin en revanche de comprendre le sens de la demande. C'est la raison pour laquelle nous dialoguons beaucoup, pour faire comprendre l'intérêt de l'autorité et de la discipline. La discipline est la force que permet l'action en commun et qui garantit contre la défaillance. Librement consentie, elle est le sommet de la liberté.
Vous parlez de dialogue. Ce n'est pas forcément l'image que l'on se fait du commandement militaire...
Et pourtant nous pensons que le commandement est un dialogue avec soi-même puis un dialogue avec autrui. Nous l'avons théorisé et institutionnalisé. Avant chaque engagement se tient un « mission brief » et un « back brief ». Lors du « mission brief », le chef explique la mission et la façon dont il prévoit de l'accomplir. Puis vient l'étape du « back brief», au cours duquel ses subordonnés viennent lui dire comment ils ont compris la mission et pensent la mener. Cela permet de s'ajuster.
Le chef ne redoute donc pas de se remettre en question ?
Au contraire. Il faut apprendre à douter, sinon on risque de le faire au mauvais moment. Nous amenons les futurs chefs à s'interroger sur le sens de leurs actions.
Quels bénéfices l'armée tire-t-elle de l'ouverture à la société civile et à l’international ?
L'ouverture à la société civile et à l’international permet de donner aux élèves des clés de compréhension du monde. C'est par ailleurs un moyen de diffuser nos valeurs et de préparer l'avenir du pays : les futurs décideurs militaires et civils, français comme étrangers, se connaissent jeunes et communiqueront ainsi plus aisément lorsque leurs chemins se croiseront plus tard.
À titre personnel, qu'avez-vous retiré de votre mission d'aide de camp du président de la République Jacques Chirac ?
Cette expérience a souligné l'importance de la dimension humaine d'un chef, ainsi que la plus-value de la formation militaire. J'ai également été surpris de la qualité et de la rapidité du processus de décision politico-militaire français, qui permet au chef des armées de faire redescendre très rapidement ses directives jusqu'au commandant des opérations sur le terrain.
Propos recueillis par Marie-Hélène Brissot