Co-auteur de Conscious Capitalism, la bible de l’entreprise consciente et responsable, Rajendra Sisodia, professeur d'économie au Babson College et fervent partisan d’un capitalisme éclairé, revient pour Décideurs Magazine sur les fondements de cette nouvelle approche qui permet aux entreprises non seulement de croître, mais aussi de servir l’intérêt général.

Décideurs. Quelle est votre définition du conscious capitalism ?

Rajendra Sisodia : Le conscious capitalism n’est ni une stratégie commerciale, ni un business model. C’est une philosophie ; une façon globale de faire du business. Trop d’entreprises créent de la valeur financière au détriment de l’environnement, de la société, de la santé ou de la culture… Ce qui revient à extraire de la valeur plutôt qu’à en créer. Le principe du conscious capitalism consiste à faire du business tout en ayant un impact positif sur le monde.

Concrètement, sur quoi repose cette philosophie d’entreprendre ?

Elle s’appuie sur quatre piliers : une raison d’être qui, pour toute entreprise, doit dépasser la quête du profit, la nécessité de créer de la valeur avec et pour l’ensemble des différentes parties-prenantes (clients, salariés, investisseurs, communauté…), un leadership conscient et moral capable d’harmoniser leurs différents intérêts et, au sein de l’organisation, une culture fondée sur des valeurs, des principes et des pratiques qui constitue le ciment social de l’entreprise et rend son action bénéfique à tous.

Qu’est-ce qui vous a emmené à co-écrire conscious capitalism avec John Mackey ?

Au milieu des années 1990, dans le cadre de recherches, j’ai identifié des entreprises qui, tout en dépensant peu en marketing, jouissaient d’un taux de fidélité et d’un indice de confiance élevés. Il m’est apparu que ces entreprises étaient soucieuses des intérêts de tout leur écosystème et pas uniquement focalisées sur ceux de leurs actionnaires, de même qu’elles poursuivaient un objectif qui dépassait celui de la simple quête de profits. Elles ne se contentaient pas d’être des entreprises dotées d’une mission. Elles étaient une mission portée par une entreprise. Par la suite, j’ai vu qu’elles affichaient de meilleurs résultats que ceux de leur secteur alors qu’elles payaient mieux leurs salariés et leurs fournisseurs et qu’elles investissaient dans leur communauté et dans la protection de l’environnement. Elles prouvaient que le capitalisme est un jeu gagnant-gagnant et non le jeu gagnant-perdant que beaucoup pratiquent. Ces travaux m’ont emmené à faire la connaissance de John Mackey, le fondateur et CEO de Whole Foods Market, tout aussi passionné par l’idée de faire du business autrement. C’est ainsi que le mouvement du conscious capitalism a vu le jour en 2008.

Selon vous, peut-on parler d’un début de prise de conscience ?

Disons que des signes encourageants sont perceptibles. La plupart des entreprises restent focalisées sur l’objectif de maximiser les gains des actionnaires mais beaucoup voient aujourd’hui à quel point ce mode de fonctionnement est vide de sens. Celles qui pratiquent un capitalisme conscient et moral sont plus performantes et plus résilientes, il n’y a donc aucune raison pour ne pas l’adopter. Je dirais même que persister dans les anciennes logiques constitue une faute. Le coût humain qu’impliquent les anciens schémas économiques est tout simplement trop élevé, nous ne pouvons plus nous le permettre. Il arrive que, plus une entreprise prospère, plus elle porte atteinte à son écosystème. Le concept de croissance devrait se mesurer à son impact positif sur la vie des gens. C’est notre devoir d’aller dans cette direction.

Quel est le rôle du dirigeant dans cette mutation en cours ?

On ne peut envisager d’entreprise vertueuse sans dirigeant conscient et moral. Peter Drucker disait : « Il n’y a que trois choses qui arrivent naturellement dans les organisations : les tensions, la confusion et la sous-performance. Tout le reste requiert du leadership. » Un véritable leader s’efface et se met au service des autres. Il est à la fois endurant et bienveillant, déterminé et souple. Il a un haut niveau d’intelligence émotionnelle, spirituelle et systémique.

Propos recueillis par Caroline Castets

Conscious Capitalism*, de John Mackey et Rajendra Sisodia, paru chez Harvard Business Review Press

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