Axelle Devezac (Fondation de France) : « De nombreuses entreprises transforment l'injonction sociale en opportunité business »
Décideurs. Selon vous, quelles mesures concrètes pourraient permettre de concilier exigence de profitabilité et prise en compte de l’intérêt général ?
Axelle Devezac. Une entreprise n’a pas vocation à s’occuper d’intérêt général au sens strict. Elle a, en revanche, une responsabilité au sein de la société, vis-à-vis de ses parties prenantes et de l’environnement dont elle se sert pour mener à bien son objet social. Plus que des mesures de gestion interne des entreprises, le plus efficace serait de modifier leurs critères d’évaluation. La valorisation des entreprises, à travers les cotations d’actions ou lors d’acquisitions, se fait principalement sur des résultats court terme. Valoriser une entreprise sur sa capacité à générer des béné- fices à long terme nécessiterait d’inclure des critères qui participent des politiques de RSE et, par extension, de l’intérêt général.
Comment faire de cette approche un levier de croissance ?
Comme le montre une étude de notre Observatoire de la philanthropie lancée début 2018, de nombreuses entreprises sont en train de transformer cette injonction sociale en opportunité business. Tout l’enjeu est de bâtir un modèle de croissance véritablement inclusif sans creuser le fossé entre les causes qui mobiliseront l’entreprise parce qu’elle y aura un intérêt commercial, et les sujets en marge comme la grande précarité ou la prison. C’est à cela que le mécénat, qui part de besoins extérieurs à l’entreprise, apporte des réponses. À la Fondation de France, nous voyons de nombreuses entreprises qui ont un ADN tourné vers le bien commun créer une fondation, en complé- mentarité avec leur démarche RSE.
« Une approche contraignante ne serait pas plus efficace que le mouvement spontané qui est en train de prendre de l’ampleur »
Quel est le rôle du dirigeant dans cette nouvelle vision de l’entreprise et de sa mission ?
La Fondation de France abrite les fondations de nombreux chefs d’entreprise qui mettent la dimension collective au cœur de leur vision de l’engagement. Je pense notamment à François Lemarchand (Nature & Découvertes), Alain Cojean (chaîne de restaurants), et Charles Kloboukoff (Léa Nature Jardin Bio). Les dirigeants engagés ont tendance à miser sur les jeunes générations, particulièrement exigeantes sur ces enjeux. Il est essentiel de bien communiquer, y compris auprès des actionnaires, sur les objectifs à court et long terme d’un engagement en mécénat, pour que la dynamique soit partagée par tous.
Dans quelle mesure l’État doit-il encourager ou réguler les entreprises afin qu’elles pensent davantage en termes d’intérêt collectif ?
Le développement du mécénat d’entreprise puis de la philanthropie individuelle depuis les années 1990, porté notamment par un dispositif législatif et fiscal sophistiqué, a montré que l’État pouvait favoriser l’implication des acteurs privés au service de l’intérêt général. Néanmoins, il me semble essentiel de préserver la liberté consubstantielle du phénomène philanthropique. De plus, l’évolution des mentalités et des comportements laisse à penser qu’une approche contraignante ne serait pas plus efficace que le mouvement spontané qui est en train de prendre de l’ampleur.
Que vous inspire le rapport Notat-Senard sur l’objet social de l’entreprise?
Ce rapport propose de modifier le Code civil pour pouvoir faire figurer dans les statuts d’une société une « raison d’être » sociale qui cohabiterait avec l’objectif de profit. Il préconise de prévoir dans ces entreprises un comité d’impact, un dispositif d’évaluation externe et un mécanisme de reporting extra-financier. Dans les faits, la généralisation de pratiques réellement objectives d’évaluation externe reste un défi. La vigilance quant à la séparation entre intérêts privés et intérêts collectifs doit rester au cœur de ce travail.
Propos recueillis par Capucine Coquand