L.Bérille (UNSA) : « Le syndicalisme crée une forme de citoyenneté d’entreprise »
Décideurs. On parle de « crise du syndicalisme ». Comment y remédier ?
Luc Bérille. Elle s’inscrit dans la crise plus globale de la démocratie participative. Je suis convaincu que c’est dans le lien avec les salariés, sur le lieu de travail, que nous avons une chance de lutter contre. L’antidote, c’est le contact direct. L’Unsa propose une offre syndicale réformiste, dont la spécificité réside dans l’autonomie. Cette offre est régie par le principe de la subsidiarité : les sujets qui concernent l’entreprise sont traités par le syndicat de l’entreprise, qui négocie et signe seul les accords. De façon autonome donc. Ce principe est décliné au niveau de la branche ainsi qu’à l’échelon interprofessionnel. Naturellement, nous avons défini un socle de valeurs communes, rappelées dans une charte, et sur laquelle chaque structure s’engage.
« L’instance unique de représentation du personnel procède d’une vision technocrate »
Quel regard portez-vous sur les ordonnances travail et la réforme du dialogue social ?
Le reformatage des outils de dialogue social que cette réforme entraîne est catastrophique, en particulier la réduction des IRP au modèle unique du CSE. Nous n’étions pas opposés à des possibilités de regroupement mais il aurait été plus intelligent de laisser une faculté d’adaptation à la réalité de chaque entreprise. Pour les DRH, l’atout de l’instance unique est sa vision transversale. Mais justement… il s’agit là d’une approche technocrate.
C’est-à-dire ?
Les représentants du personnel sont des commerciaux, des techniciens, ou encore des caristes, des frigoristes… Des salariés qui ont une compétence professionnelle et qui, du fait du mandat qu’ils exercent, sont amenés à traiter de sujets qui dépassent leurs attributions. Bien sûr, les organisations syndicales forment les militants, pour leur permettre d’avoir une vision plus large que la leur. Mais si on élève encore le niveau de complexité des compétences à acquérir – ce qui est la résultante du CSE – le travail syndical s’en trouve complexifié. C’est regrettable car le syndicalisme crée une forme de citoyenneté d’entreprise. Tout le travail que nous effectuons consiste à repérer des personnes, à leur mettre le pied à l’étrier, et à les accompagner dans une forme de « mise en responsabilité ».
Pourquoi l’instauration d’une instance unique génère-t-elle des difficultés à recruter pour les syndicats ?
« L'engagement reste une prise de risque professionnel »
La réalité militante est qu’il n’y a pas de file d’attente lorsque des candidatures sont ouvertes. L’engagement reste une prise de risque professionnel. Je vous donne un exemple : Mohamed n’hésite pas à dire ce qu’il pense, il a la confiance de ses collègues d’atelier et il est syndiqué à l’Unsa. Le syndicat peut parvenir à le convaincre de prendre un mandat de délégué du personnel. Cette fonction est dans la ligne de l’attitude qu’il avait jusque-là. Il découvrira peut-être d’autres réalités, commencera à gravir les échelons. Mais si je dois convaincre Mohamed non pas de devenir délégué du personnel, mais membre du CSE (comité sociale et économique), je dois lui expliquer qu’il aura à examiner l’ensemble des sujets qui animent l’entreprise, et qu’il devra se saisir de problématiques économiques, et donc disposer de connaissances en droit du travail. Dans ces conditions, il y a de fortes chances qu’il refuse. Voilà comment on demande aux syndicats de se renouveler… tout en créant des conditions qui rendent ce renouvellement complexe.
Marie-Hélène Brissot