Le contenu de la réforme des retraites que le gouvernement dévoilera mercredi portera sans doute la marque de son architecte, Jean-Paul Delevoye. Cet homme de dialogue mène un véritable marathon pour convaincre syndicats, élus, technocrates et citoyens. Avec une méthode qui lui est propre.

Février 2017. Jean-Paul Delevoye a fait son choix. Lui l’homme de droite, le gaulliste social, le chiraquien fidèle. Ébranlé par l’affaire Fillon, il décroche son téléphone et offre ses services à Emmanuel Macron. À cette époque, le candidat En Marche, chantre du "et de gauche et de droite", est préoccupé : ses proches soutiens sont majoritairement issus du PS. L’appel de Jean-Paul Delevoye arrive à point nommé. Outre son positionnement politique, utile pour mener sa campagne présidentielle, l’homme aujourd’hui âgé de 72 ans possède de véritables atouts.

La bonne pioche

Alors que les marcheurs manquent d’implantation locale, Jean-Paul Delevoye est fermement ancré dans le Pas-de-Calais. Élu en 1982 maire de Bapaume, petite bourgade de 4 000 habitants, il garde son fauteuil de maire jusqu’en 2014. Détail important, il doit en très grande partie son mandat au soutien de son prédécesseur PS, très sensible à sa capacité d’écoute et à son positionnement social.

Il fait de Bapaume un fief qui lui permet de grimper peu à peu les échelons. Élu député RPR en 1986, il intègre le Sénat en 1992, année où il devient président de l’Association des maires de France (AMF), poste qui lui permet d’acquérir une envergure nationale en défendant les intérêts des élus locaux, peu importe leur étiquette politique. Ce côté œcuménique, au-dessus des luttes partisanes, lui vaut d’être désigné Médiateur de la République de 2004 à 2011 puis président du Conseil économique social et environnemental (CESE) qu’il quitte en 2015 pour pense-il, prendre une retraite bien méritée.

Surtout, l’homme du Pas-de-Calais est un véritable spécialiste des retraites. De 2002 à 2004, dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, il occupe le poste de ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’État et de l’Aménagement du territoire. Outre la sensible délocalisation de l’ENA de Paris à Strasbourg, il s’attelle à la réforme des retraites des fonctionnaires et rééquilibre le régime en augmentant la durée de cotisation. Le tout en travaillant étroitement avec les syndicats. Un atout de poids qui achève de convaincre Emmanuel Macron, une fois élu, de le nommer haut-commissaire à la réforme des retraites. Sa mission ? Transformer en profondeur le système, notamment en instaurant un régime universel, une retraite à points et en diminuant drastiquement le nombre de régimes spéciaux.

Marathonien des négociations

Dès sa prise de poste, Jean-Paul Delevoye prend à bras le corps ce dossier technique et consulte énormément. "Il me semble sincèrement attaché au dialogue, le climat de discussion est bon", se réjouit Laurent Escure, secrétaire général de l’Unsa, qui estime que la crise des gilets jaunes a probablement incité le gouvernement à se montrer plus à l’écoute des corps intermédiaires. La méthode de négociation mise en place par le haut-commissaire s’apparente à un vrai marathon : "Il a instauré des réunions bilatérales avec tous les syndicats toutes les deux semaines", témoigne Pascale Coton, vice-présidente de la CFTC en charge des négociations sur les retraites. « Le mode opératoire est le suivant : nous sommes en petit comité avec le haut-commissaire et un conseiller thématique. Nous évoquons un point précis et, quinze jours plus tard, nous présentons nos préconisations. »

"Il a instauré des réunions bilatérales avec les syndicats toutes les deux semaines"

Et, surprise de taille, ces dernières peuvent être entendues et intégrées au projet. Pascale Coton se réjouit ainsi de voir dans le rapport remis au président de la République en juillet une mesure préconisée par la CFTC : l’octroi de points aux personnes partant en retraite anticipée pour aider un proche en situation de dépendance.

Le haut-commissaire ne se contente pas de s’adresser aux syndicats. En plus d’avoir mis en place une plateforme de discussion en ligne et des ateliers participatifs dans les territoires, auxquels il se rend systématiquement, il bat la campagne. Homme de terrain, il multiplie les déplacements dans les universités, les villages, les entreprises, tout en inondant la presse quotidienne régionale d’interviews. Son but est clair : expliquer avec des mots simples une situation complexe. "Je l’ai vu discuter devant 400 militants CFTC ou à l’université d’Orléans, il a réponse à tout, fait preuve d’humilité et bannit le jargon technocratique de son vocabulaire."

Amadouer le Parlement

Mais, pour mener à bien sa tâche, Jean-Paul Delevoye ne doit pas se contenter de dialoguer avec les citoyens et les corps intermédiaires. Il lui est également nécessaire de convaincre députés et sénateurs, un rôle qui, initialement, ne lui était pas dévolu. Pourtant, en septembre, un "micro-remaniement" a lieu. Outre l’arrivée de Jean-Baptiste Djebbari comme secrétaire d’État aux Transports, Jean-Paul Delevoye intègre le gouvernement au poste de haut-commissaire aux Retraites (et non plus au haut-commissaire à la réforme des retraites). Un strapontin qui lui permet de défendre son projet dans l’Hémicycle, mais aussi dans les commissions des Affaires sociales à l’Assemblée nationale et au Sénat. Certes, du fait de la composition de la Chambre basse et de la nature de la Constitution, l’exécutif pourrait passer en force. Mais sur la question stratégique des retraites, il compte convaincre les réticents, écouter et faire preuve de pédagogie. Cela tombe bien, ce sont les passions du chiraquien historique qui s’est déjà mis au travail.

Une attitude qui semble appréciée par la majorité, mais aussi par l’opposition : "Il est en première ligne, il se mouille, ce qui n’est traditionnellement pas le cas de tous les ministres", reconnaît Jean-Pierre Door, député LR du Loiret depuis 2002. Ce spécialiste des questions de retraite, a déjà interpellé le haut-commissaire lors des questions au gouvernement. Il reconnaît que, si Jean-Paul Delevoye "connaît parfaitement son sujet", il n’est pas franchement ouvert au dialogue : "Il parle bien, mais ne répond pas aux questions et ne nous écoute pas. Nous avons beau l’interroger sur des points précis comme la pénibilité, les points, le sort des professions libérales, il reste sur sa ligne".

Son passé d'homme de droite est un plus pour convaincre les technocrates de Bercy et de Matignon

Une situation qui fait craindre à l’ancien maire de Montargis que "l’opposition n’arrivera pas à faire passer un seul amendement". Comme lors des réformes de Muriel Pénicaud. Selon lui, le haut-commissaire qu’il a côtoyé des années au RPR puis à l’UMP n’est pas forcément fautif. Le manque de dialogue est plutôt à rechercher du côté de l’Élysée où "tout est déjà ficelé. La réforme des retraites est une promesse de campagne du Président qui commence à s’impliquer sur le dossier", comme le montre sa présence à un débat sur les retraites à Rodez le 3 octobre.

Murmurer à l’oreille des technocrates

Pourtant, le haut-commissaire est loin d’être un homme de paille. À la manœuvre lors des négociations, il pourrait voir son influence augmenter une fois la loi votée. Car un chantier de cette ampleur ne s’arrête pas à la promulgation du texte. Ce sont les décrets d’application et les lois de finances qui permettront à la réforme d’être pleinement effective. Pour cela, il est nécessaire de peser sur les arbitrages et de "mettre la pression" sur Matignon et Bercy qui tiennent les cordons de la bourse. Une tâche peu connue du grand public mais vitale que Jean-Paul Delevoye peut mener à bien. "Il possède la légitimité politique et technique pour peser et s’assurer que les promesses soient effectivement tenues, de par son passé, c’est un homme de réseaux et d’influence", reconnaît Laurent Escure. Même son de cloche du côté de Pascale Coton qui estime qu’il "sera capable de peser sur les arbitrages et qu’il est le plus apte à assurer le service après-vente de la réforme". Son passé d’homme de droite sera un plus pour convaincre les technocrates de Bercy et de Matignon qui, comme lui, viennent de la même famille politique : l’aile modérée de la droite. Qui depuis des années rêvait d’une telle réforme…

Lucas Jakubowicz

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