Allongement de la vie, réforme des retraites, politiques de l’emploi, etc. : autant d’éléments qui maintiennent les seniors sur le marché du travail. Comment appréhender ce phénomène ?

Trop chers, peu malléables, moins mobiles, etc. Légitimes ou non, les griefs à l’encontre des seniors sont nombreux. La durée des carrières étant appelée à s’allonger, les entreprises ont pourtant tout intérêt à revaloriser la place des seniors dans leurs organisations. Mais l’emploi des seniors est souvent perçu comme une problématique complexe.

A quel âge devient-on senior ?

Si le sujet de l’emploi des seniors paraît si difficile à dénouer, c’est d’abord parce qu’il n’existe aucune définition officielle du terme "senior". L’âge considéré varie en fonction des enquêtes ou des interlocuteurs. Au sein des entreprises, les accords et plans d’action seniors concernent les 50 ans et plus. Mais, à l’échelle européenne, les statistiques prennent en compte la tranche d’âge des 55-64 ans. "Ce choix", comme le rappelle Annie Jolivet, économiste au Centre d’étude de l’emploi et du travail (CRTD), "s’explique notamment par le fait que la tranche des 55-64 ans couvre l’âge de départ à la retraite dans l’ensemble des pays européens".

L’âge d’accès aux dispositifs dédiés à cette population est également mouvant. Un employeur peut bénéficier d’une aide de l’État en embauchant, dès ses 45 ans, un demandeur d’emploi. En revanche, ce dernier devra atteindre ses 57 ans pour se voir proposer un CDD senior. Le Parcours emploi compétences (PEC) peut, quant à lui, être prolongé dans la limite d’une durée totale de cinq ans – et non deux – pour les personnes âgées de 50 ans…

Il n'existe aucune définition officielle du terme "senior"

Ces quelques données suffisent à démentir la vision sociale qui représente les seniors comme un groupe homogène. En effet, d’après Annie Jolivet, "quand on parle de seniors, ce sont des gens installés dans des parcours professionnels complètement différents". Néanmoins, cela ne doit pas nous conduire à considérer que les seniors n’ont pas de besoins spécifiques. Nicolas Menet, sociologue et directeur général de Silver Valley, souligne ainsi que c’est souvent à l’approche de la soixantaine que "se pose la question de la suite de carrière", que "les personnes ont de grandes chances de traverser une crise existentielle". C’est à cet âge aussi que l’on devient aidant, que l’on voit ses enfants quitter la maison ou que l’on peut recevoir un héritage.

Que disent les chiffres ?

L’emploi des seniors fait l’objet d’une mobilisation importante de la part de l’État, des régions, des partenaires sociaux, que ce soit au travers de dispositifs visant à prévenir la pénibilité ou de plans de formation. Ces actions ont même été renforcées dans le cadre du Plan emploi senior présenté en juin 2014. Mais comment en mesurer les effets ? Pour le savoir, deux indicateurs méritent d’être mentionnés et distingués : le taux d’emploi des seniors et leur taux de chômage.

Le premier est en forte progression en France, passant de 37% en 2003 à plus de 56% en 2018, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Cette hausse dissimule toutefois des disparités. Chez les 55-59 ans, le taux d’emploi tourne autour des 77% contre 33,5% chez les 60-64 ans. Ce décalage explique sans doute pourquoi, en France, le taux d’emploi des 55-64 ans est inférieur de 5,7 points à celui de l’Union européenne.

Chez les 55-59 ans, le taux d’emploi tourne autour des 77% contre 33,5% chez les 60-64 ans.

Les politiques de l’emploi ont peut-être, elles aussi, joué un rôle dans le retard pris par la France vis-à-vis de ses voisins européens. À partir des années 1970 et jusqu’à l’an 2000, les pouvoirs publics et les partenaires sociaux ont mené une politique de départ anticipé et privilégié le retrait des seniors du marché du travail. Cette politique, "fondée sur le partage du travail entre les différentes classes d’âge" a conduit, selon Chrystelle Thirion, directrice conseil RH chez Siaci Saint Honoré, "à un effondrement de 71% à 40% du taux d’emploi des seniors".

Depuis, la tendance s’est inversée, tout comme le paradigme qui prévalait en matière de politique d’emploi des seniors. Mais maintenant que le maintien et le retour à l’emploi des seniors sont endossés par les pouvoirs publics, on assiste à un accroissement significatif du taux d’emploi des seniors ainsi qu’à une hausse rapide et continue de leur taux de chômage.

Quel rôle pour les entreprises ?

Dans les années à venir, les DRH et autres talent managers seront donc confrontés à des candidats plus âgés qu’auparavant. Pour Annie Jolivet, "il s’agira donc d’envisager des process de recrutement différents. Les DRH sont invités à se préparer et à anticiper en transformant notamment la perception qu’ils ou elles se font de ce qu’est un candidat". C’est un défi d’autant plus difficile à relever que, comme le rappelle Chrystelle Thirion, "très peu d’entreprises vont dire aujourd’hui ‘Je n’ai pas assez de seniors' puisque la question est plutôt celle de savoir comment rajeunir ses effectifs".

"Embaucher un senior c'est par définition l'embaucher pour une durée déterminée"

Néanmoins, les entreprises auraient tort de mépriser la valeur ajoutée des seniors. Ces derniers sont pour les entreprises "un pôle de stabilité", pour reprendre les mots d’Hubert Labourdette, VP strategic operations chez Assystem. Ils ne coûtent pas aussi cher qu’on le penserait puisqu’"embaucher un senior c’est, par définition, l’embaucher au maximum jusqu’à sa retraite donc pour une durée déterminée". Le senior, ajoute Nicolas Menet, "est aussi la mémoire de l’entreprise. Il a une vraie valeur mais celle-ci ne peut pas être comptée en externalité positive financière".

Expérience, expertise, polyvalence : autant de qualités bien cernées par Hubert Labourdette lorsqu’il a créé les "Space Cowboys". Ces derniers constituent une équipe de 21 personnes âgées de 45 à 64 ans, le plus âgé partant prochainement à la retraite à 67 ans. Ils peuvent aussi bien "travailler sur des projets complets qu’être en support de l’ensemble de la société ou être garant de son rayonnement".

Sans s’engager dans une démarche aussi innovante, les entreprises peuvent d’abord s’efforcer de lutter contre les préjugés et échapper au piège de la stigmatisation qui se referme encore trop souvent sur les seniors. Il s’agit aussi de réfléchir à la manière de faciliter la collaboration et le transfert de connaissances entre les générations. Les entreprises ont aussi un rôle à jouer dans l’accompagnement à la retraite. Cela suppose, d’après Chrystelle Thirion, d’appréhender aussi bien l’aspect financier que la dimension psychologique. Cet accompagnement est d’autant plus nécessaire quand on sait, grâce à Nicolas Menet, que "ce qui se passe à la fin de la carrière conditionne la retraite. En fonction de cette fin de carrière on adoptera soit une posture de recul, soit une posture d’ouverture". 


Marianne Fougère

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