Emploi: innover pour limiter la casse sociale
« Aujourd’hui, beaucoup de Français ne se rendent pas compte que la rentrée sociale sera compliquée et que certains ne vont pas retrouver leur emploi », s’inquiète François Moreau, président du groupe de conseil en ressources humaines LHH, anciennement Altedia. De l’avis de tous les analystes comme du gouvernement, l’impact sur l’emploi de la crise économique sera massif. Les employeurs ont déjà commencé à envisager des réductions d’effectifs. Les avocats du cabinet Actance, spécialistes du droit social, s’en font l’écho. « Depuis le 15 mai à peu près, chaque associé reçoit un appel par jour pour discuter de “la suite”, témoigne Pierre-Alexis Dumont. Les entreprises ont été sous perfusion pendant trois mois, et maintenant tout le monde mène son audit de la situation. Certains envisagent des mesures sociales. »
Le retour des plans sociaux ?
Associée du cabinet d’avocats Bredin Prat, Pascale Lagesse le confirme : « Nous sommes d’ores et déjà saisis de projets de restructurations, principalement pour les filiales françaises de groupes étrangers, indique-t-elle. Les entreprises françaises suivront sans doute, probablement à partir du moment où les conditions du chômage partiel seront modifiées. » Dans ce début de vague, la tendance n’est pas aux accords généreux. Depuis deux ans, les experts du droit du travail témoignaient d’un recul des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) classiques, au profit de dispositifs moins abrupts : les accords de performances collectives ou autres gestions prévisionnelles des compétences, lissant les départs sur plusieurs années, mêlant reconversion, formation et incitations. Mais il semble bien que les plans sociaux « secs » soient en train de faire leur retour. Les enveloppes financières envisagées sont minces et l’urgence conduit certains employeurs à choisir les schémas les plus unilatéraux. François Moreau confirme le mouvement. « Les entreprises ne se tourneront pas vers les plans de départs volontaires ou les ruptures conventionnelles collectives, prévient-il. Nous devons créer des dispositifs spécifiques. S’il y a un domaine où nous devons être innovants, c’est bien celui-là. »
Dialogue et initiatives
Pour le dirigeant de LHH, le dialogue social sera primordial dans ce contexte. Il recommande la négociation d’« accords de reprise » incluant « des discussions sur le temps de travail, le bonus des dirigeants, les rémunérations…, évoque-t-il. Peut-être des sortes de “clauses de retour à meilleure fortune”, pour faire en sorte que les fruits d’une éventuelle reprise puissent être à nouveau partagés ».
Le très influent Raymond Soubie, fondateur du cabinet de conseil Alixio, préconise pour sa part l’allongement du congé de reclassement, ou encore la création d’un « congé compétence ». Les idées commencent aussi à affluer autour de dispositifs permettant une meilleure connaissance des bassins d’emplois et de leurs opportunités. Le dirigeant de LHH envisage également des approches de cette nature, à condition de réfléchir à l’échelle territoriale. « On ne peut en rester à de grandes théories développées à un niveau national, explique-t-il. Il faut dégager quelques grands axes et les décliner au niveau local. » Rémi Boyer, directeur des ressources humaines de Korian – un groupe particulièrement exposé pendant la crise sanitaire – abonde en ce sens. Il propose de de bâtir des partenariats entre les entreprises qui doivent se séparer d’effectifs, et celles – comme la sienne – qui ont des besoins de recrutement importants. Plus que jamais semble-t-il, l’heure est au pragmatisme, au dialogue social de terrain et à l’esprit d’innovation.
Marie-Hélène Brissot